Germaine et Cocotte

La fréquentation par les pêcheurs de l’habitat de Germaine et des siens n’était pas frénétique ! Parce que les gestionnaires avaient voulu (c’était juste souhaitable) que la pression de pêche soit faible afin de rester valorisante pour les carpistes et également reposante pour la gente aquatique. Prendre une seule carpe en ces eaux relevait de l’exception et passait aux yeux de tous pour un petit exploit…

La vie tranquille de la Ballastière était parfois perturbée par des faits qui sortaient des habitudes. Germaine était friande de ces micro-événements qui faisaient que certains jours laissaient une trace indélébile dans les souvenirs de notre héroïne. Avec Nicole, pour d’autres raisons, Germaine était la mémoire de ces eaux et un peu de toutes les carpes spécimens, celles qui avaient le plus de savoir. Ce même savoir, c’était le quotidien qui le lui apportait car elle savait être à l’écoute de tout, et aussi et surtout curieuse de chaque petit événement qui se produisait sans que rien ne le laissât présager…

Germaine se souvenait bien : C’était un jeudi de juin….

Une petite camionnette blanche était arrivée à l’aube. L’homme qui en sortit était tout sauf un bipède pressé de tendre ses lignes. Dès qu’il fut hors de son véhicule, il libéra d’une sorte de cage posée et attachée sur le siège avant, un animal dont la couleur tirait sur le roux. Depuis son poste d’observation le plus proche, Germaine ne reconnut pas ce qu’elle savait n’être pas un petit chien ! Cette bête-là n’avait que 2 pattes et portait fièrement une sorte de petit chapeau dentelé de couleur rouge foncé sur sa tête…

Germaine était vraiment étonnée et elle écarquillait ses gros yeux pour mieux voir cet étrange animal. Il était recouvert de plumes comme il en tombe parfois des arbres, et qui flottent longtemps à la surface de l’eau, poussées par le vent jusqu’à s’échouer sur une rive ou une autre selon que le vent souffle dans un sens ou un autre. Cet animal bipède, Germaine le devina bientôt, était une poule terrestre. Par déduction, elle comprit qu’il y avait des ressemblances avec les gallinules (poules d’eau) qui sillonnaient en tous sens la ballastière et qui étaient ses amies, des amies amusantes en diable à pousser leurs cris stridents pour s’interpeller. Et puis leurs poussins noirs si turbulents qu’elle, Germaine, mettait un point d’honneur à sauver des dents de Messire Esox et sa famille aux 700 dents acérées. Les poules d’eau avaient pour Germaine une grande reconnaissance pour son maternage affectueux et désintéressé. Notre Germaine y pensait maintenant, ces amies, les Gallinules allaient peut-être pouvoir lui servir d’interprètes auprès de cette poule et de son maître qui était pour elle, d’une attention de…coq de basse-cour. Car elle voulait comprendre cet événement…Une poule à la pêche ? Ca, c’était une première !

Donc, loin de se mettre d’emblée en pêche, le bipède avec sa poule sur les talons, entreprit de faire le tour de la ballastière, s’arrêtant là, observant des petites choses au sol ou à la surface de l’eau. La poule, quant à elle, zigzaguait un peu derrière son propriétaire, picorant ci, picorant là, en frétillant de joie. C’était visiblement très bon ce qu’elle trouvait dans la rosée qui perlait sur les fines tiges du gazon sauvage et sur les autres herbes disparates : Plantin Lancéolé, Grand Plantin, Trèfle Blanc, Pissenlit….etc. Cette dernière plante aux feuilles dentelées dont les aigrettes étaient prêtes à s’éparpiller à la moindre brise pour semer sa descendance aux alentours, intriguait la poule. Ce serait amusant sans doute d’y mettre un coup de bec ! Le bipède continuait sa prospection, et finalement après avoir observé quelque chose de différent, il revint vers sa voiture, laissant sa poule à sa quête passionnée. Une minute plus tard, il était sur un autre poste, distant de 100 mètres du premier.

La poule revint vers lui et attendit qu’il la caressât et lui gratouillât son petit bonnet rouge.

Il lui dit :

– Ca va ma Cocotte ?
Germaine avait bien entendu :
-Voilà, elle s’appelle Cocotte ; c’est déjà ça, connaître un nom pour pouvoir engager la conversation Ajouta-t-elle in petto c’est tout de même mieux !
Le bipède lança sa ligne sur une tache de gravier que sa perspicacité avait décelée au milieu de nulle part mais qu’une risée avait brièvement matérialisée d’une fugace, mais plus nette nuance verdâtre. Ce bipède-là, c’était visiblement un grand observateur pour trouver ce tout petit mètre carré de fond dur au milieu de l’immensité vaseuse ! Et puis il y lança son seul montage savamment esché avec une précision chirurgicale… Après ça, il revint vers Cocotte qui arpentait maintenant la rive et pataugeait dans l’eau sur la bordure peu profonde… Et là, y avait du bon et même du très bon : des petits vers, des têtards, des planorbes, miam ! les planorbes ; elle adorait ce petit escargot à coquille ramassée et fragile et puis encore d’autres minuscules gastéropodes collés sur des petites pierres moussues. Un sublime mets de…poule, ces petits escargots ! Elle trouvait aussi de la nourriture oubliée par d’autres pêcheurs : des graines cuites ou non, des bouts de pain détrempés, des asticots noyés de toutes les couleur et plein de bonnes choses encore… La vie rêvée d’une poule des villes en villégiature à la campagne au fin fond de la France profonde. Son maître ne la quittait guère des yeux depuis qu’un renard avait failli la lui dérober un jour, au bord de cette même ballastière. Elle avait eu grande peur, sa Cocotte, mais depuis, son naturel insouciant avait repris ses droits…Cocotte a une heureuse nature !

D’où la vigilance du pêcheur, plus à la surveiller elle, que son unique ligne…Cocotte revenait vers lui immédiatement quand il lui sifflait un air que Germaine connaissait bien pour l’avoir entendu jouer à l’harmonica. Oui, vous savez ce petit objet un peu long qui donne de jolis sons quand un bipède souffle dedans. Le bipède joua le Temps des Cerises et Cocotte revint vers lui aussi vite que ses petites pattes le lui permettaient. Ceci dit, elle ne s’attarda pas à proximité de son maître; peu après, elle était à nouveau à baguenauder de l’autre côté tout à fait insouciante et toute à sa quête de nouvelles délices…

Lors de cette deuxième escapade, les pieds dans l’eau, elle rencontra Germaine avec une gallinule en guise d’interprète. Cocotte vit la carpe et eut d’abord un mouvement de recul devant cette masse oblongue qui ondulait lentement près de la rive ! Mais très vite notre gallinacée fut rassurée par la présence de cette petite cousine noire qui, sans parler parfaitement son langage, s’exprimait suffisamment bien pour traduire les paroles de bienvenue de Germaine.

Germaine :

– Bonjour Cocotte, comment allez-vous ? Trouvez-vous assez de bonnes choses sur nos rives ? (Galinette traduisait simultanément, les propos de l’une, puis de l’autre)

Cocotte répondit, et quel caquetage ! :

– Oh oui, je me régale, et merci à vous de me laisser profiter des largesses de votre domaine. Je vais essayer d’être raisonnable ! D’ailleurs, j’ai pris du poids et, si je ne savais pas l’amour de mon maître pour moi, je craindrais bientôt qu’il ne me mette au pot comme le voulait pour son peuple, en son temps, le bon roi HenriIV. Enfin, c’est lui qui parle de ce Henri IV, moi, vous savez, je n’ai guère de culture générale. A part cette histoire où il est question de sauter du coq à l’âne, je ne m’encombre pas la tête. J’ai assez à faire à scruter le sol. Vous savez, un lombric et ben, ça vaut qu’on y regarde de près…Et puis les grillons que je surprends au sortir de leur petit terrier ? Ca c’est vraiment un délice ! Je suis sûr que vous aimeriez Germaine…
Ce premier contact plut à Germaine, et même si c’était pour parler comme les bipèdes le font presque toujours, de la pluie et du beau temps, c’était un premier contact. Et il en promettait d’autres moins banals…

Cocotte en les quittant leur dit ceci :

– Il faut que je vous quitte, il est midi et je dois pondre mon œuf. Bruno, il a ses habitudes. Et son œuf à la coque chaque midi, c’est sacré. A bientôt les amies ! Je vous apporterai à chacune un grillon pour que vous y goûtiez…
En arrivant à la voiture, Cocotte vit Bruno mettre à l’épuisette une belle carpe. Il rayonnait ! Après l’avoir posée avec moult précautions sur son grand tapis mouillé préalablement, il la décrocha rapidement mais avec douceur et beaucoup d’adresse. Les Fastgrip sont des hameçons qui ne causent pas de dommages lors des décrochages. Cette carpe-là, notre pêcheur ne la connaissait pas. Il ne l’avait jamais vue encore. Il l’estima à 15 kg environ avant de la relâcher avec une infinie tendresse. Bruno ne pesait jamais ses prises, ni ne les photographiait. Elles étaient « pour Lui », comme il disait…Et il fixait leur morphologie, leur écaillure, leur pigmentation dans sa mémoire au premier regard. Son œil était infaillible !

S’adressant maintenant à la poule :

– Bon à table Cocotte !
– Et mon œuf, où est-il cette fois, coquine ? Mais où as-tu pondu, diablesse à plumes ? Ah je le vois, ah toi, tu es une marrante, tu l’as pondu aujourd’hui sur ma casquette que j’ai laissée par terre !

– Merci ma Cocotte chérie ! Et c’est un gros aujourd’hui, un double, tu me gâtes !
Lui dit-il, en la caressant de la tête à la queue et lui laissant ensuite picorer quelques graines cuites dans le creux de sa main. Il le savait, c’était son péché mignon à Cocotte le maïs au miel. Et elle en faisait des côt côt côt… de plaisir en se régalant ces friandises.

Bruno retendit sa ligne avec autant de précision que la première fois. Après ce laps de temps son œuf serait juste comme il l’aimait…juste avant d’être mollet.
Cocotte elle ? Elle était déjà repartie pour essayer de retrouver Germaine et son interprète…Et puis, elle avait maintenant deux bonnes raisons de patauger sur le bord…
Décidément la vie à la campagne, pour Cocotte, c’était de vraies belles vacances…

Germaine et le Temps des Amours.

Le printemps arrive à grand pas…

Et cette année, ce n’est pas le calendrier qui en a décidé ainsi mais la météorologie. Les températures sont douces et, comme un immense organisme, la ballastière se remet doucement à vivre… Un enthousiasme, une fièvre presque, vient de s’emparer de tous les cyprins qui se rassemblent par famille. Et Germaine ne lâche plus Caruso d’une nageoire…A moins que cela ne soit l’inverse ? On les voit partout à sillonner en tous sens la grande pièce d’eau. On les voit là, on les voit à l’autre bout, on les a vus ici, on les a vus ailleurs… Ils sont partout et nulle part…

Du côté des porteurs de dents acérées, qui ont eu leur moment de folie à eux, en tout début d’année, quoique moins spectaculaire, c’est une autre fièvre, moins sentimentale, qui s’est emparée d’eux, dans leurs rangs puisque leur chef les a rassemblés spécialement aujourd’hui…

Ernest, alias Maître Esox, n’en finit pas de donner ses recommandations aux siens. (Et oui, leur mère s’appelle Ernest !) :
– C’est bien compris, les enfants, vous avez les crocs, je le sais. Le printemps ça met en appétit, mais je vous interrrrdiiiiis de toucher à la famille de Germaine ! C’est bien entendu ?
– Eh ! Tu m’écoutes, Poignard ? Tu peux répéter ce que je viens de dire ?
Et Poignard (un jeune ésocidé d’un an et quelques mois) de répondre en bredouillant :
– Oui maman, on n’a pas le droit de croquer les bébés des carpes. Pourtant, moi j’aime bien ça ! Les brèmes, c’est un peu plat comme goût ! Bon ok, maman, c’est promis…Je me retiendrai…Mais ça sera dur ! J’en claque des dents de dépit !
Ernest en remet une couche :
– Germaine est, comme qui dirait, ma meilleure amie. Une amie d’enfance, même si à son arrivée dans notre ballastière, je l’aurais bien aimée, plus comme un amuse-gueule, que comme… une frangine. Entre Elle et Moi, il n’a jamais été question d’autre chose que d’amitié. Surtout pas de sexe ! Après ses premières années à la Ballastière, on a apprit à se connaître, et notre amitié, pour étonnante qu’elle soit, est désormais, je le sais et j’y tiens : dé-fi-ni-tive ! C’est vu les enfants ? Gare à celui qui désobéira, je le mangerai de colère ! Vous trouverez bien quelques rats imprudents pour varier le menu du jour…Et puis, c’est comme ça, mettez vous ça dans votre tête de canard : on ne MANGE pas les carpes ! Ok ?

Fingerling, un tout jeune brochet pose pourtant (ose plutôt) une question :
– Même les toutes toutes petites carpes, maman, on ne pourra pas y goûter ? Y en a tellement ! Juste une ou deux, juste pour goûter ? Ah dis maman, s’il te plait…
Et Ernest de reprendre ses recommandations…explicatives, encore plus véhémentes cette fois :
– Nooooooooooooooon, c’est nooooooooooooooooon ! Aucune carpe même pas une vésicule résorbée ! Les enfants, il faut que vous sachiez que la quasi-totalité des œufs de nos amies les carpes est mangée par les gardons, les brèmes, les écrevisses, les larves de libellules. Et quand il reste quelques alevins vivants après ce premier massacre, ceux-là sont confrontés à tellement de dangers de mort que c’est à peine s’il reste un seul descendant pour chaque carpe femelle. Alors, faites la chasse aux gardons s’il pleut, autant que vous voudrez, et aux rotengles, si vous voulez vous mettre du bleu dans les yeux, en plus de vous remplir le ventre ! Allez, vous pouvez allez « jouer » des quenottes, petits voraces !

– Et puis n’oubliez pas, je le saurai…Et gare à vous si…
Ernest, Elle, a un « rendez-vous » avec une famille de ragondins qui a commencé un tunnel sous le vieux chêne de la Fête des Glands. Elle compte bien leur faire la leur, de fête, les uns après les autres…Ce rôle de gendarme que la nature lui a attribué convient bien à son profil…psychologique. Un peu rigide dans ses décisions, Ernest a bien modéré son caractère en fréquentant Germaine. Elle connait ses droits et n’oublie jamais ses devoirs. Elle sait son rôle sanitaire capital pour l’équilibre de leur petit paradis liquide.
Ernest :
– Bon, assez ruminé, j’ai un de ces creux, moi. Allez, je fonce m’embusquer à proximité du chêne…à un bout du tunnel. En somme, je fais la sortie aux petits Rats du père Gondin! On peu rigoler un peu, non ? Hi hi hi…
Mais ce rire-là est vraiment carnassier… 700 dents brillent …de mille feu!
Le soleil monte dans le ciel, et d’heure en heure, la température de l’eau s’élève aussi. L’eau qui « fumait » dès les premières lueurs de l’aube n’est qu’à peine ondulée par une légère brise qui vient de se lever et qui souffle de l’Ouest. Elle pousse vers la zone de faible profondeur où croissent ces herbiers qu’on appelle « **queue de renard ». Non loin, mais un peu plus au large, ce sont les Potamots qui affleurent déjà à la surface. A une plus grande distance de la rive, les grands nénuphars, sous lesquels il fait si bon se mettre à l’ombre pendant les canicules, ont commencé à déployer leurs épaisses feuilles flottantes. Elles sont presque en forme de cœur… C’est de circonstance !
Germaine et Caruso nagent côte à côte et leurs pérégrinations autour de la Ballastière les ont épuisés, l’un et l’autre, mais surtout Germaine qui a son ventre chargé d’ovules. Un grand moment se prépare….Ils le savent tous les deux. Caruso se fait de plus en plus…caressant…et prévenant…et pressant…

AVERTISSEMENT : La lecture de ce qui va suivre est déconseillée aux enfants de moins de 5 ans ! La rédaction décline toute responsabilité en cas de traumatisme sur de jeunes sensibilités. SVP, protégez vos petits. Merci.

Germaine est toute moite de mucus et son cœur bat la chamade ! Bien qu’elle ait toujours des pensées émues pour Robert, Caruso lui fait perdre littéralement la tête. Surtout maintenant quand il la frôle, et elle aime ce contact voluptueux autant que lui, son grand mâle semble l’aimer… Ils ondulent autour d’une touffe de cet herbier vert tendre et qui, pour cette période précoce de l’année, est déjà très volumineux. Nos amoureux en font le tour comme s’il était important qu’ils en mesurent la circonférence…
Toujours un peu en retrait, Caruso suit Germaine, lui dit qu’il l’aime et qu’elle est belle en future maman. Germaine malgré sa fièvre est troublée par ces compliments que son Caruso lui susurre en la caressant délicatement de sa puissante caudale…
Ailleurs les mêmes scènes se produisent…

Mais c’est quand même un peu plus confus ! On ne sait trop qui est avec qui et il arrive que certaines futures mamans-carpes soient convoitées simultanément par plusieurs soupirants. Il sera difficile, pour ne pas dire impossible d’attribuer avec certitudes les bébés à un père plutôt qu’à un autre. Seules, plus tard, les morphologies pourront permettre aux Galiciennes de se distinguer des carpes de Lusace ou de Hongrie ou des autres espèces. Il y aura même sans doute de très beaux bâtards qui naîtront de cet imbroglio amoureux où un Ichtyologue, même de grand renom, y perdrait son latin.
Voilà, l’instant décisif arrive…

La température de l’eau et d’autres mystères que seule la nature connait, déclenchent la fraye. Les carpes, dans une ondulation générale et quasi frénétique, expulsent leurs millions d’ovules qui s’agglutinent aussitôt sur tous les herbiers environnants, d’ailleurs bien malmenés, et les mâles les arrosent de leur semence qui se répand comme un épais brouillard vivant…sur toute cette zone de maternité, plus que de paternité…
Le monde du silence ne l’est plus guère, ça frappe l’eau de partout…Ce n’est que claquement de nageoires…

C’est à cet instant que l’attaque des brèmes et des gardons se produit, à peine perturbée par celle des brochets à leur suite. Elle est fulgurante et impitoyable ! Ils arrivent par milliers et se gavent d’ovules dans une apparente indifférence des Carpes qui sont reparties vers la pleine eau sitôt vidées de leur très hypothétique progéniture. Elles sont épuisées mais tellement plus sereines maintenant…
Dans leur petit nid d’amour Germaine et Caruso ont fait ce que la nature et les sentiments qu’ils se portent leur ordonnaient de faire. Caressée par Caruso, Germaine a émis plusieurs millions d’ovules, et il a fécondé de sa laitance abondante tous ces millions d’œufs. Ils sont heureux, bien qu’ils sachent, Elle et Lui, que la horde des Blancs quand elle en aura (presque) fini avec la fraye des autres carpes, trouvera la leur et des millions d’ovules porteurs de vie collés sur la **queue de renard, il ne restera presque rien. Rien peut-être ? Qui sait…

C’est triste mais la Nature est bien faite. C’est un mal… nécessaire !
Pour rassurer les lecteurs, il faut savoir que Germaine et Caruso garderont de leurs amours, 3 descendants : un alevin femelle et deux petits mâles, Alexia, Franck et Jérôme. Trop petits pour dire auquel de leurs deux parents, ils ressemblent le plus. Nous vous donnons rendez-vous pour le savoir, à l’automne… Nous verrons alors ce que sont devenus ces 3 miraculés des amours de Germaine et de Caruso…
Déjà une chose est sûre, et même si le suspense en souffre un peu pour les prochaines aventures de Germaine, notre héroïne est bel(le) et bien Maman. Et la maternité dans une vie, c’est vraiment quelque chose d’exceptionnel.

Donner la vie, c’est…vital !

GERMAINE ET LES ENDURISTES


Nous approchons de la fin du joli mois de mai…Et son dernier week-end a désormais sa tradition ! Comme chaque année le Club Woms organise son enduro. Robert et ses amis se résignent à ce qui est pour eux plus une obligation plus qu’une réjouissance. Cette compétition qu’ils veulent conviviale (et qui ne l’est pas toujours) c’est pour eux, le moyen de faire entrer un peu plus de thunes pour pouvoir réaliser quelques amendements et l’entretien biannuel des abords de la ballastière.

Germaine suit ça de près en rôdant discrètement près des rives, l’ouïe aux aguets et l’œil à chercher Robert, le maître d’œuvre de la manifestation entouré de ses lieutenants, Gégé Dunord, Savate’Man et Guillaume G. Pour 20 équipes, ils sont bien assez et ils sont convaincus qu’à plus de quatre ils sont une bande de… Comme chantait Brassens. Germaine l’aime bien ce Brassens. Elle va l’écouter quand Savate’man met sa boite à musique à fond et pour l’entendre en boucle quand il vient faire une de ses rares incursions à la ballastière. Lui, il préfère l’eau qui bouge ! C’est la pêche en rivière qui a sa préférence. Mais rien que pour pêcher avec ses 3 amis, il sacrifie à l’eau close de temps à autre.

Germaine entend les commentaires et il va y avoir du changement cette année. Les 4 amis sont un peu inquiets car ils veulent réduire drastiquement le nombre de cannes à pêche autorisées. Avant c’était 6 cannes par équipe. Cette année ce ne sera que 3 par binôme ce qui fait passer de 120 cannes (et donc lignes et montages à juste 60, forcément !) ! Le fait que ce soit un chiffre impair va déjà perturber les équipes qui n’ont d’équipe que le nom pour certaines. Il y a quelques binômes qui ne sont pas une entité mais deux ! Avec une canne en commun, il va bien falloir s’entendre ! Ce sera chacun son tour de tirer…si ça mord… sur la troisième.

…Oui si ça mord car de son côté, Germaine a sonné le rappel de ses troupes à elle ! Si on peut, quand on est une carpe, sonner quoi que ce soit ! En fait il s’agit d’alerter les 30 carpes adultes de la ballastière. Germaine nage jusqu’au Rocher des Sauts qui se trouve au milieu du plan d’eau et en exécute plusieurs bien retentissants, jusqu’à ce que tous les spécimens la rejoignent. Après quelques splatchs sonores, tous ceux qu’elle attend arrivent bientôt au rapport. Nicole bien sûr dont les avis sont suivit à la lettre. Caruso, étant le mâle dominant, a aussi son mot à dire. Les autres qui ont de l’expérience, du vécu, seront aussi mises à contribution et leurs suggestions seront prises en compte si elles sont judicieuses. Le but recherché c’est d’abord qu’aucun des spécimens ne soit capturés donc plus ou moins abîmés par des carpistes novices pressés d’être…pour avoir. Ceci faisant mauvais ménage avec le respect que chacun devrait prodiguer à chacune de ses prises. Et ensuite de faire de cette journée de fête pour les bipèdes, une distraction pour le peuple à écaille. Ce ne sont pas quelques piercings provisoires qui empêchent de vivre… et puis c’est une opportuniste coquetterie !
Germaine commence son discours ainsi :

– Chères amies (dans le monde des carpes, c’est le féminin qui l’emporte), vous avez compris, c’est comme d’habitude, l’enduro des Woms, le dernier week-end de mai. Chacun sait maintenant ce que nous avons à faire. Je vous rappelle déjà d’être, chacune de vous, vigilantes et de ne pas succomber à l’attrait de leurs billes colorées. Vous les connaissez ces carpistes, ils redoublent d’innovation et à moins d’être une carpe de bois, nous ne sommes pas à l’abri de nous laisser tentée. Alors un seul mot : vi-gi-len-ce !

Tout le petit monde à écailles boit les paroles de germaine, laquelle voit son autorité confirmée par les acquiescements muets de Nicole, la doyenne de leur biotope et la grande psychologue que tous ont consulté une fois, au moins. Nicole n’est pas bavarde. Mais ça simple présence et ses mimiques discrètes suffisent à donner à Germaine ce qui pourrait lui manquer d’autorité sur ces sœurs. Même Caruso, surtout Caruso, devrais-je dire, écoute les ordres, d’ailleurs on dirait qu’il pense à autre chose et qu’il entend sans entendre…la voix de Germaine.

On le dirait comme sur un nuage… d’eau trouble…

Germaine :
– Comme pour les autres fois, vous allez réunir autour de vous les générations montantes et les briefer un maximum. Il y aura bien quelques écervelées qui planeront et d’autres qui ont toujours faim qui se feront piéger mais, nous devons limiter les dégâts en faisant en sorte que le moins possible d’entre elles aient maille à partir avec les bipèdes. Il faut certes qu’elles apprennent à vivre ! Et qu’au au moins que notre expérience leur serve un peu…autant que possible ! On sait bien que nos lumières n’éclairent que le chemin parcouru…le nôtre à chacune ! Et qu’il est quasiment impossible de partager son expérience. Si, jeunesse savait, si vieillesse pouvait…
Sur la rive déjà, il arrive nombre de véhicules qui se rangent à quelques distances et selon les consignes habituelles. Robert n’aime pas la pagaille. Son autorité n’est pas contestable, pas plus que contestée. Il a même obtenu qu’aucune portière ne soit claquée. Et quand un nouveau participant le fait, tous les regards le fusillent… Pas besoin d’en dire plus à ce dernier, il comprend sur le champ et jamais plus n’oublie ce détail propre à rompre la magie de ces lieux enchanteurs !

Le tirage au sort par désistement est effectué et chaque équipe rejoint le poste qu’elle a choisi. Ca grogne en peu en sourdine…

Alex Thia. et G. Entille commentent la restriction du nombre de cannes.

– Pourquoi que 3 cannes ? Déjà 2 cannes chacun, cela n’aurait pas été beaucoup, mais là, avec 3 seulement, comment allons nous savoir à qui c’est de tirer quand ça mordra sur celle qui est en commun ?

G. Entille lui répond :

– C’est pas bête finalement de mettre moins de fil et de montages dans l’eau. Et puis, c’est simple, on tirera chacun à notre tour. D’ailleurs cette ligne, nous la mettrons entre nos deux autres comme ça, tu le sais bien, elle ne sera pas souvent sollicitée.

Ailleurs, ça commente aussi ! Ca grommelle plutôt :

– Ben moi, Ils ne me reverront pas l’année prochaine. Si je n’ai pas ma batterie complète, je ne pêche pas ! Tu parles avec 3 lignes seulement, on n’aura pas beaucoup de touches, on peu le craindre… Avec les Woms faut s’attendre à des trucs de vieux. Vraiment plus dans l’coup, les viocs ! Il parait même, qu’ils envisagent des équipes à seulement deux cannes, une par participants. Ils sont fous à lier ces ringards de Woms !
Boum ! Le coup de fusil, tiré par Robert retentit ! C’est toujours lui qui fait parler la poudre pour donner le départ des « hostilités ». A la suite de cette première détonation suit immédiatement après, une averse de grêle multicolore et de multiples senteurs. Puis 3 ploufs plus ou moins sonores sont entendus un peu partout par le peuple du monde du silence.

Que la fête (ou la pêche) commence…
Déjà la ribambelle des jeunes carpes s’affole. Ca sent si bon ! C’est quasi irrésistible…
Les adultes ont beau enjoindre la jeunesse à écailles à la prudence, G.Entille a déjà un départ et pose quelques minutes plus tard une jolie miroir de 5, 300 kg sur son confortable et tout nouveau tapis de réception. Les commissaires enregistrent cette première prise. Quelques minutes plus tard, c’est au tour Alex Thia de prendre une belle commune qui accuse 7, 400 kg.

Pourtant AlexT ne semble pas trop content :

– Si c’est ça leurs spécimens, eh ben tu parles d’une daube ! J’suis pas là, moi, pour prendre des pin’s. Je sais bien qu’elles sont toutes différentes les carpes mais bon, à moins de 10 kg, c’est décevant quand même…

Ailleurs quelques carpes de 3 à 8 kg sont enregistrées. Et si ce n’est pas la fièvre du samedi soir, dans l’ensemble l’ambiance est assez bonne et, à quelques exception près, ne manque pas de convivialité. Les grincheux du début ont eu quelques départs mais les ont raté car incapables d’empêcher leurs prises de venir d’emmêler dans l’une de leurs lignes : la 3ème le plus souvent bien trop tendue, dans laquelle les carpes venaient faire leurs slaloms.

Le weekend se passe…

Un seul spécimen s’est fait piégé. Il s’agit de Mona qui bien qu’elle mange comme quatre, a toujours sa ligne de jeune fille. Bien que pas née du dernier printemps, Mona ne laisse aucun mâle indifférent. Mais c’est une romantique, elle ne profite guère de ses charmes… Nous nous égarons ! Ceci dit en 3 coups de queue notre Mona a foncé dans le tunnel du tonneau… et crack, le compétiteur qui se voyait déjà en haut de l’affiche, ramène, piteux, sa ligne sans l’hameçon. Il remonte et relance au plus vite…dans le même secteur du tonneau ! Il y en a certains pour lesquels une touche, c’est presque aussi valorisant qu’une capture ! Va comprendre ma pauvre Germaine !
Bientôt un autre boom retentit…

C’est déjà Dimanche et l’enduro touche à sa fin. Seules 5 équipes ont pris au moins une carpe. Les autres n’ont pas su tirer, comme ils disent, leur épingle du jeu.
Le temps que tout le monde remballe son matériel et c’est bientôt la remise des prix : modeste trophée en l’honneur de la Carpe, une petite statuette pour chacun et quelques lots en matériel offert par les détaillants des villes voisins pour les cinq équipes qui ont pris quelques chose. Robert remercie tous les généreux donateurs et les participants pour leur bon comportement et même leur chaleur avec les commissaires pour certains prompts à offrir, qui un café qui un verre. En leur souhaitant, un bon retour et d’être prudent sur la route du retour, leur donne rendez-vous pour le prochain dernier week-end de mai…2015.

Germaine est là avec Caruso, sous sa branche embusquée. C’est vrai que son robert, il a vraiment du charisme. Même Caruso, qui pourrait en prendre ombrage, le reconnait. Mais il sait maintenant que Germaine n’est pas insensible à son charme à lui.
– Que le meilleur gagne Robert ! Lui adresse-t-il en pensée.
Germaine s’éloigne lentement comme à regret. Caruso lui emboite le sillage…

La vie de la ballastière va retrouver son calme.

Au secours Germaine !

 

 

Au secours Germaine !

Les Woms*, avec à leur tête Christophe Grincheux, ont exigé (et obtenu) la fermeture de « Buchen’Lac », tout le temps nécessaire pour reprendre Pauline et Lucie. Même si ce n’est pas la mer à pêcher, 2 hectares, ce n’est quand même pas évident, au milieu de centaines de carpes en carence alimentaire, de toucher les deux seuls spécimens qui viennent de la Ballastière. A moins de vider, ce qui ne peut se faire avant l’hiver, il n’y a qu’avec des lignes qu’on pourra espérer reprendre Pauline et de Lucie. Sans toutefois renoncer à une vidange de contrôle, « sanitaire » à plusieurs titres, dès l’hiver prochain.

Vingt Woms sont installés autour de Buchen’Lac et Le Tenancier fait profil bas. Il a accepté, d’assez mauvaise grâce au début, mais sous la menace d’un contrôle fiscal et aussi d’une plainte pour recèle de spécimens volés aux eaux libres publiques, et aussi un risque de fermeture son « Centre » jusqu’à la vidange programmée…Christophe Grincheux sera intraitable sur ce point, il le sait. Bien joli s’IL peut ré-ouvrir après tous les contrôles avec du poisson « propre » et certifié tel.

Voici deux jours et deux nuits que les Woms sont à pied d’œuvre. Ils ont déjà attrapé nombre de carpes de poids qui sont, non seulement en petite forme, mais elles ont en plus leurs bouches   détruites par les captures multiples. Le gérant n’a pas su (ou voulu) imposer des hameçons sans ardillon, ni des précautions pour les décrochages à ses frénétiques « clients ». Les chasseurs de ce type de spécimens de cirque sont plus ou moins débiles et en délicatesse avec…le bon sens le plus élémentaire. Ces « carpeux » paient ? Donc ils ont tous les droits !

Les prises se succèdent en vain, car, affolées sans doute, nos deux carpes ne font pas partie des prises. Savate’man qui est sans doute le plus raisonnable de la bande dit à Guillaume G :

–        Tu vois , Guillaume, on n’y arrivera pas comme ça. Autant chercher un hameçon Fastgrip n°6 dans un 38 tonnes d’hameçons Boilie Hook de même taille ! Un miracle serait plus probable qu’une reprise. Il faut que j’appelle Robert. J’ai une idée et je veux savoir ce qu’il en pense avant de la mettre en œuvre. Et puis, lui-seul, peut reprendre Germaine facilement. Elle est folle de lui !

Robert n’a pas pu se joindre au groupe de Woms, il a en ce moment quelques soucis de santé et toute une batterie d’examens médicaux à faire. Il enrage de ne pas en être mais les rendez-vous qu’il a à honorer sont pris depuis des mois. Bien sûr, il est en contact permanent avec Savate’ man et les Woms. Pas une heure ne se passe sans qu’il joigne téléphoniquement l’un ou l’autre et surtout le centralisateur du commando, Christophe Grincheux. Et les nouvelles ne le satisfont pas. Savate’Man se risque à l’appeler :

–        Allo Robert ! Comment ça va ?

Robert :

–        Je suis sur les dents. Mes petits problèmes d’arthrose je m’en fous. D’ailleurs je n’ai même plus mal tellement j’ai d’adrénaline dans le sang. Alors où en êtes-vous à Buchen’Lac ?

Demande-t-il à Savate’man.

Savate’Man fait le point et se hasarde à lui dire ce qui lui trotte dans la tête :

     – On a déjà capturé 63 carpes mais pas les deux qu’on veut. J’ai bien une idée, mais je ne sais pas si tu vas aller dans mon sens…C’est peut-être un peu con !!

     – Dis toujours. lui répond Robert intrigué.

Et ben voilà :

     -Il faudrait mettre Germaine à contribution…

     -Comment ça, « mettre Germaine à contribution » ? Tu ne veux tout de même pas dire que je devrais prendre Germaine et la transférer à Buchen’Lac pour qu’elle retrouve Pauline et Lucie ? S’inqiète notre Robert.

   – Mais non Robert, on ne va pas prendre le risque qu’elle chope une saleté dans ce bouillon de culture Le rassure Savate’man. Et d’ajouter, plus explicite :

Mon idée est la suivante : Il faudrait prendre un peu de mucus à Germaine et marquer nos bouillettes avec. Mieux, on pourrait passer quelques dizaines de bouillettes dans sa bouche pour les…singulariser. Tu sais bien toi, qui ne change jamais ta bouillette après une capture, qu’une bouillette qui a pris n’est jamais plus prenante que dans cette manière de procéder ? Je pense que c’est le seul moyen d’envoyer un message de la Ballastière et de Germaine à ses deux copines.

Robert est ébahi :

–        Mais bon Dieu, mais c’est bien sûr, S’exclame-t-il.

–        Faut-il que vieillir soit un naufrage pour que je n’y aie pas pensé tout seul et pourtant, dès le départ, j’aurai s dû ! Heureusement que tu gamberges carpe 24h/24 mon ami, tu me scotches, toi. Bon, je passe ces fichus examens et je te donne rendez-vous demain, à la première heure à la Ballastière. Merci Savate’man. Encore bravo ! Chapeau mec !

C’est bien avant l’aube que les 2 amis se retrouvent au bord de la Ballastière. L’un et l’autre tremblent comme si leur vie était en jeu. Ils le savent c’est l’idée de la dernière chance et le plan B, ce ne pourra être qu’une vidange totale de Buchen’Lac mais… dans 6 mois. Comment retrouverons-t-ils, Pauline et Lucie, et seront-elles seulement toujours vivantes après cette éternité ? Robert sort ses bouillettes-miracle. Ce sont les seules que Germaine accepte ; elles sont un peu leur philtre d’amour à tous les deux. Robert procède à un amorçage à la fronde et envoie une grêlée de ces bouillettes sur le poste où croise souvent LA carpe. Dessous le miroir Germaine entend ce bruit bien connu.

Germaine :  

-Tiens voilà des bipèdes ! Pense-t-elle. Je me demande pourquoi ils ne sont pas eux aussi, au sauvetage de Pauline et de Lucie ! s’indigne-t-elle. Ah tiens ! Mais je reconnais cette odeur, moi. Ce sont les bouillettes de Robert ! Ca faisait longtemps qu’il n’était pas venu, mon Robert. Que se passe-t-il ? En quoi puis-je l’aider, car s’il est là et pas à Buchen’Lac, c’est qu’il a besoin de moi, c’est sûr.

Elle a compris ; elle attend que Robert et son ami lancent leurs montages ; pour se mettre immédiatement à la recherche de ses appâts succulents. Elle en a déjà mangé quelques unes de ces friandises irrésistibles quand elle avise le piège. Ca pique un peu, elle le sait, mais si Robert essaie de la pêcher c’est qu’il a une raison majeure pour le faire se dit-elle.

D’ailleurs, Robert n’utilise que ces bouillettes-là pour elle. Et simplement quand il veut la voir pour contrôler son état de santé, son poids, sa couleur….et je pense aussi pour lui témoigner son attachement…

Sur la rive Robert et Savate’man attendent et ont du mal à rester calmes. Bientôt un bip bip retentit. Robert relève sa ligne avec précaution. Il ne ferre jamais : il prend contact avec son poisson comme s’il pêchait avec du 1o/100ème. Et pourtant, jamais il ne décroche aucun poisson ! Bientôt Germaine est prise. Elle repose maintenant sur un nouveau tapis de réception particulièrement sécurisant et confortable. L’eau y reste assez pour que sa belle peau et sa rangée d’écailles sur sa ligne latérale restent humides, et pour qu’elle ne puisse, dans un moment d’affolement incontrôlable, retomber dangereusement sur le sol. Robert et Savate’man sont à genoux à côté d’elle et se livrent à de drôles de manières. De véritables attouchements, Germaine en rosit de confusion !

Elle se dit :

Mais que font-il à me déverser toutes ces bouillettes dessus. Et puis Robert qui les met une à une dans sa bouche et les retire presque aussitôt, puis les range avec soin dans une boite qui contient un peu d’eau  de la Ballastière ! Ils sont devenus fous ou quoi ? Je ne pense pas que Robert fasse ça par hasard. Il a une idée derrière la tête, mon Robert, c’est évident ! Mais moi, vraiment je me demande à quoi correspond ce manège qui ne m’enchante pas. Je vais sentir la cocotte, moi, après ! Je vais passer pour qui, si je croise Caruso, maintenant ? Bon, si c’est pour communiquer avec mes deux copines, je veux bien accepter ces papouilles qui n’en sont pas… Robert, quand il me touche, c’est avec beaucoup plus de tact. Ce n’est pas Lui qui est là, ce matin. C’est le Chef d’un commando déterminé quitte à ne pas respecter les convenances.

-Il sentait bon le parfum Hugo Boss ce matin, mon… légionnaire…

Quelques minutes après qu’une quantité suffisante de bouillettes « marquées » sont obtenues; les deux amis remettent Germaine dans l’eau avec une grande délicatesse. Elle reprend son souffle et bientôt s’éloigne à regret… Elle s’en souviendra de cette capture-là ! Longtemps…

Et surtout de ce qui a suivit…

Deux portières claquent. Un bruit vrombissant indique à Germaine que Robert et Savate’man sont repartis dare-dare. Arrivés à Buchen’Lac, le partage des bouillettes « marquées » est fait rapidement entre tous les membres du commando de sauvetage. Chaque woms reçoit d’une part, une petite quantité de bouillettes au mucus pour faire un micro-amorçage et d’autre part, quelques bouillettes marquées par la salive de Germaine pour escher leurs montages…

Bingo ! L’dée de Savate’man, approuvée avec enthousiasme par Robert, fait merveille. Deux heures après, Pauline et Lucie sont sur les tapis de réception. Pauline a été reprise par Gégé Dunord et Lucie, par Guillaume G. Elles ont l’air de ne pas avoir trop souffert physiquement. Mais qui peut évaluer leur traumatisme psychique, sinon Nicole ? Quand elles auront passé le temps de la quarantaine, elle les écoutera…

Toute la bande repart à la queue leu leu en direction de la petite mare qui jouxte la Ballastière.

Quelques minutes plus tard, après la photo-souvenir de tout le commando et des deux spécimens, Pauline et Lucie tenues le temps de la prise du cliché par Gégé et Guillaume, leur sauveurs. Juste après ce sont eux qui l’a remettront, avec mille précautions, dans l’élément pur de cette mare de santé.

Bientôt elles seront reprises et pourront en toute sécurité rejoindre la communauté des poissons.

Dans la Ballastière, Germaine a compris. Elle exécute une série de sauts démonstratifs pour attirer l’attention du commando qui comprend que cette liesse s’adresse à eux, les Woms. Tous lèvent alors leur casquette vers elle. Germaine est contente et se dit :

Mon Robert ? C’est vraiment lui le plus fort ! Dommage qu’il ne puisse vivre sous l’eau !

-Tiens, mais c’est Caruso vient qui vers moi… Zut, je n’ai pas mis de rouge à lèvres !

.

 

Germaine et l’eau de là…

Germaine et l’eau de là…

Notre amie Germaine est inquiète. Il y a de quoi en pensant à Pauline et Lucie. Elle a besoin de Nicole qui, du fait de son âge et de sa science de l’âme, a toujours été apaisante pour tous ceux qui sont venus s’épancher auprès d’elle. Le commando de Woms est sur le pied de guerre, et même si elle ne peut que leur faire confiance, l’attente pour une intellectuelle comme elle, est insupportable. Il faut qu’elle voie Nicole absolument…

Bonjour Nicole, comment vas-tu ? Commence Germaine en arrivant.  

Nicole :

Bonjour Germaine, ça fait un bail que je ne t’ai pas vue ma Germaine, lui répond notre psychologue à écailles.

Oui, je veux vous présenter Nicole.

Nicole est désormais une vieille dame carpe avec une écaillure intégrale. Dans sa jeunesse, elle était toute de bronze vêtue et elle a fait tourner bien des têtes sur son sillage. Le temps a passé, inexorablement… Maintenant, c’est toute d’argent qu’est sa parure. Mais Elle est toujours d’une rare élégance malgré l’outrage du temps. Nicole a désormais le charme des êtres qui ont bien vieilli. On ne remarque même pas la ride qui part de la commissure gauche de sa bouche. C’est souvent là, que se plantait le fer pointu et tordu qui l’a piégée plusieurs fois dans sa jeunesse. Et puis, elle a aussi cette cicatrice quand un même fer l’a accrochée, une fois, entre ses deux pelviennes. Sa nageoire dorsale aussi a un peu subi les atteintes de la vie et surtout ceux de la part des mains de jeunes bipèdes impatients, toujours plus avides de captures et qui malmènent leur prise pour passer…à la prise suivante. Alors que tant d’autres, les Woms surtout, passent tellement de temps à nous admirer, nous caresser, nous photographier que là, on en suffoque d’être trop longtemps au sec. Vous n’allez pas me croire, il y a même des carpistes qui nous font un bisou avant de nous relâcher, comme à regret, alors qu’on voit bien qu’ils nous aiment ! Mal, très mal. Nicole est revenue de tout ça et son expérience de la vie et des êtres à écailles ou des bipèdes font d’elle une personne rare et précieuse.

Oui, continue Germaine. «  il faut que je te parle, je suis folle d’inquiétude ». «  Non, c’est plutôt folle d’impatience que je devrais dire ».

–        Dis-moi tout Germaine, tu sais qu’à moi, tu peux tout dire ?

–        Oui Nicole

Lui répond Germaine

–        je sais bien mais là, c’est plus difficile à confesser, c’est tellement spécial.

–        Dis-moi tout

Lui répète notre psy à écailles.

Mais avant d’en venir à ce qui la travaille le plus, Germaine informe Nicole des derniers événements : Le rapt de Pauline et de Lucie, le commando de Woms, les malfrats, Buchen’Lac et tout, quoi ! Ca déjà, ça lui met la rate au court-bouillon à notre Germaine mais il y a aussi et surtout, Robert.

–        Ben voilà, tu sais presque tout Nicole

Précise Germaine.

–        Enfin tout, non ! Je veux te dire que je suis amoureuse…d’un bipède ! Je suis follement amoureuse de Robert !

–        Ah ben, nous v’là belles avec ton histoire d’amour

Lui répond Nicole les yeux agrandis par la surprise d’un tel aveu.

–        Es-tu devenue folle Germaine. Toi tu n’as jamais rien fait comme les autres. Ah, j’te jure !

–        Ecoute Germaine je vais te donner mon point de vue. Il faut te raisonner. Ce n’est pas avec ton Robert, si beau soit-il, que tu t’assureras une descendance. Ce serait un comble qu’en pondant 2 millions d’ovules, tu n’aies personne pour assurer ta lignée ! Et puis ton Robert comme tu dis, à son âge, il est probablement marié, père, et même, très certainement grand-père. Tu es folle ma pauv’fille. Il faut te raisonner et transformer cet amour impossible sentiment en un autre : l’Amitié. Tu sais, un grand écrivain, n’a-t-il pas dit que l’Amitié, c’était de l’Amour sans…la frayère ?

Germaine baisse les yeux et rosit un peu. Elle le sait bien que cet amour pour Robert est impossible. Mais il est si beau « son » Robert. Et puis, elle connait bien ses propres défauts : elle est d’une pièce.

–        Je sais bien Répond-elle à Nicole. Mais c’est plus fort que moi, je l’aime.

–        Allez, allez, réfléchis un peu et ouvre aussi les yeux, il serait temps,

Lui répond Nicole.Tu n’as pas remarqué encore que Caruso, le grand mâle de plus d’un mètre, il est très élégant, te faisait les yeux doux 😕 Tu n’as pas remarqué, toi ? Toutes les autres te jalousent et toi tu n’as d’yeux que pour ce bipède ! Caruso en a perdu 2 kg à soupirer partout où il te croise. Et toi, tu rêvasses à des chimères sans queue, ni tête. Va plutôt trainer sur la rive voir si des pêcheurs de carpe sont là et écoute de quoi ils parlent. Pour l’heure, tes peines de cœur, c’est secondaire, Germaine. Renseigne-toi et essaie de sourire à Caruso, si tu le croises…

–        Bon ok, Nicole, je te laisse. Merci Nicole   lui chuchote Germaine en s’éloignant de la barque où se déroulait la consultation.

. Germaine regagne son poste d’observation et d’écoute. C’est là, que le plus souvent, s’installent les plus doués des carpistes. C’est vrai que le chêne immergé est juste à la bonne portée de leurs montages. Enfin pas pour tous, car il y en a des dizaines qui sont allés trop loin et pendent maintenant sous les branches. Une équipe de jeunes est là. Et ça parle fort. Elle entend la conversation:

Les Wons sont allés à Buchen’Lac et ils ont secoué un peu le gérant, dit l’un.

L’autre lui répond : Secoué un peu, tu es un peu en dessous de la vérité. Christophe Grincheux l’a cramponné au colbac et il y a des boutons qui sont sur l’herbe. Et puis il l’a menacé d’exiger la vidange de son trou à pisse, comme ils disent tous, pour reprendre Pauline et Lucie et sûrement bien d’autres carpes kidnappées ailleurs. Et puis aussi de lui foutre un procès aux fesses pour trafic de spécimens

Germaine vibre de plaisir. Elle se dit qu’elle ne s’était pas trompée sur la motivation des Woms. Ceux-là, ils en avaient…du courage, et leur passion pour les carpes n’était pas une façade mais une vraie passion pleine de respect, pas du snobisme comme elle l’avait constaté si souvent avec nombre de Bipèdes qui venaient étaler plus de matériels rutilants que d’art halieutique. Pauvre d’Eux !

Germaine sous sa branche pense : Mais comme le temps est long, et comme je suis triste en imaginant Pauline et Lucie au milieu de tous ces fantômes faméliques. Pourvu qu’elles n’attrapent rien. Il faudra sûrement qu’elles soient mises en quarantaine dans la petite mare qui est à côté de notre ballastière. L’eau y est pure et saine. Ce sera leur punition à ces deux inconscientes. Un mois de plus sans elles, ça va être long. Enfin, si tout se passe bien car elles sont encore dans ce mouroir, mes chéries.

Germaine revient bientôt à la réalité. Ah oui ! Tout lui revient ! Robert d’abord et les paroles de Nicole tout à l’heure à son sujet. Mais qui arrive là vers elle en une lente et majestueuse ondulation ? Mais c’est Caruso ! Quelle coïncidence ! Il s’approche et s’arrête bientôt tout à côté de Germaine et lui dit :

bonjour Mademoiselle Germaine, je vous ai apporté… cette belle anodonte car les bouillettes, c’est périssable…

Germaine pense :

–        C’est vrai qu’il est beau ce Caruso. Elle a raison Nicole. Et puis très délicat aussi. Comment sait-il que j’adore les jeunes anodontes fraîches à la folie ?

–        Bonjour Caruso Lui répond-elle, rose de confusion. Merci, je vais me régaler…A bientôt peut-être ?

Et notre Germaine repart faire sa balade quotidienne…Elle est troublée et dans sa tête, c’est une sacrée pagaille d’idées. Robert est là, bien présent mais il y a Pauline, Lucie, Nicole et ce beau Caruso aussi. Pourquoi est-il déjà dans mes pensées, lui ? J’aime tellement mon Robert ! Oui, mais c’est vrai que de l’amour de Robert, rien ne pourra naître tandis qu’avec ce Caruso, quelle belle descendance je pourrais avoir…

Ah oui, mais comment le prendra –t-il mon Robert si je lui suis infidèle ?

 

.

Et si on mangeait du Crabe ?

Par Christophe BABEC

 

Drôle de titre pour un texte sur la pêche de la carpe, non ? On pourrait croire que je vais parler des bouillettes au crabe que certains pêcheurs de carpes utilisent ? Mais non, il n’en est rien ! je veux parler d’un autre crabe, un crabe d’eau douce, bien connu des honnêtes pêcheurs de carpe, un Crabe bien moins comestible que son lointain cousin des mers.

 

Christophe Babec

 

Mais avant toute chose, il faut expliquer ce qu’est un CRABE pour un pêcheur de carpe.

Un CRABE pour un pêcheur de carpe est type, un sale type même, qui profite du travail d’amorçage ou de nettoyage d’un poste fait par un autre pêcheur de carpe, pour y aller pêcher avant lui§

Aujourd’hui, avec ce texte, j’invite donc tous les honnêtes pêcheurs de carpes à goûter au plaisir de BOUFFER du crabe ! Mais attention, c’est indigeste ce genre de bête, même… bien assaisonné.

Beaucoup de pêcheurs de carpes redoutent ces CRABES à deux pattes et ont parfois eu des soucis avec eux. J’ai également eu des soucis avec des CRABES, pas qu’une fois, et même avec le nez fin, on n’arrive pas toujours à sentir venir le crabe ! Pourtant, ça pue le Crabe…

Je vais vous raconter la dernière mésaventure que j’ai eu avec eux. Je dis bien avec eux car il y en avait deux, puisque le crabe ne se balade généralement jamais seul. Il n’est pas courageux le Crabe. Il n’y a qu’à voir sa démarche, même sur deux pattes, elle n’est pas franche, directe, mais de travers.

Pour en revenir à ma dernière mésaventure avec des crabes, elle se passe sur le Tarn, sur un poste avec un chemin très escarpé et glissant, un poste qui se mérite : un poste où j’ai promis d’emmener Guillaume.

J’amorce donc ce poste durant une semaine chaque soir. Un trajet de 10 km aller et autant pour le retour depuis mon domicile. Cela demande du temps pris sur la vie de famille… Et de l’investissement en appâts.

Pour arriver à ce fameux poste, il faut passer par un endroit où le sable est dense et toujours humide, laissant voir les traces de pas des pêcheurs y allant.

Durant ma semaine d’amorçage, ayant déjà eu des soucis avec des CRABES, je passe exactement dans mes empreintes de bottes, laissées la veille et je vois bien, que je suis le SEUL à y aller… amorcer.

De ce fait, lorsque nous arrivons le Samedi en fin de soirée, je suis surpris, mais pas étonné pour autant, de voir deux types, heu pardon, deux CRABES qui pêchent pile poil sur les deux endroits amorcés.

On s’est fait CRABER *

Je les reconnais, ils avaient déjà pêché un poste que j’amorçais, un an auparavant, mais, tant qu’il y a un doute… je ne pouvais les cataloguer dans une catégorie ou une autre car le crabe est comme le caméléon !

Il use du mimétisme il se déguise en … pêcheur !

Faisant l’idiot, je les salue d’un :

« Bonjour, avez-vous fait des poissons ? »

« Oui » me réponds le premier à qui je n’ai pas serré la pince pour autant : « on s’est gavé ! C’était l’orgie ! »

Et moi de lui répondre :

-« Pas étonnant, j’ai amorcé le poste toute la semaine… »

Avec aplomb celui-ci me répond :

– « Nous aussi on a amorcé toute la semaine !!! »

Notez honnêtes pêcheurs que le Crabe répond généralement cette phrase:

-«Nous aussi on a amorcé», lorsqu’il est pris en défaut.

Sauf que là, n’ayant pas vu d’autres traces de pas dans le sable que les miennes, je n’ai plus aucun doute.

Je lui réponds légèrement moqueur :

-« Vous êtes comme Jésus, vous marchez sur l’eau ? »

Lui ne comprenant pas trop, me regarde avec des yeux de Tourteau. (Ça a un regard con un tourteau hein !)

Je continue donc à le mettre sur le grill en lui disant :

-« Bah oui, je suis venu toute la semaine et je n’ai pas vu de traces de pas, autres que les miennes dans le sable ! Alors ne me prenez pas pour un con !»

C’est fatal, si un crabe était passé dans le sable, il aurait laissé des traces !

Là, il devient un peu rouge… la cuisson est bonne je crois.

Et il me dit :

-« De toutes manières, on allaient plier. »

Ce à quoi je réponds sèchement :

-« C’est ce que vous avez de mieux à faire »

Ils repartiront comme ils sont venus… J’ai un sourire amusé en me disant : pour une fois que des crabes filent droits ! Sans vouloir faire de jeu de mots douteux, ces crabes, c’est le cancer de la pêche.

 

*CRABER: Verbe du 1er groupe, non encore admis par encore admis par l’Académie Française désignant l’acte du CRABE déguisé en pêcheur, consistant à spolier une place amorcée et entretenue par un honnête pêcheur.

Germaine et les Woms

 

Nous avons laissé Germaine dans un grand état d’excitation. Pensez : elle avait retrouvé, presque toute seule, la piste des voleurs de spécimens et c’était maintenant à tous les membres du club Woms d’agir. Comment aurait-elle pu, elle, une carpe, trouver un moyen pour que Pauline et Lucie reviennent dans la Ballastière où elles avaient vu le jour, il y a 15 ans de cela. Germaine les aime comme si elles étaient ses propres filles. Elle va suivre l’avancée de l’enquête en restant à l’écoute sous quelques nénuphars ou autre chose, bien placée près des postes préférés des Woms…Elle est bien trop anxieuse pour que sa vie redevienne tranquille, et elle, sereine.
Ce matin, Hervé et René… de Liberty Bait sont sur leur poste préféré. Notre héroïne va pourvoir les écouter, dissimulée sous la branche qui baigne près de la rive…Tout près d’eux…
Moi, Germaine, je pense:
-Tiens, que se passe-t-il ? Ils n’étaient pas venus tester les compositions de la marque depuis longtemps ». « C’est vrai qu’elles sont tentantes leurs bouillettes ». « Pourraient-ils ignorer l’affaire ? » Je m’approche et bientôt, les mots se font plus distincts.
Hervé dit :
– Que se passe-t-il, il n’y a pas un chat aujourd’hui à la ballastière ! » « Même Robert n’est pas là » ! « Pourtant, c’est son jour, le mercredi ! » » S’il ne voit pas SA Germaine, une fois par semaine, il n’est pas bien et SA Germaine déprime aussi ! Et d’ajouter :
-C’est fou ce truc, une histoire d’amour entre un vieux carpiste et une carpe ! Ah non ! Pas carpiste, Robert préfère dire pêcheur de carpe, Pêcheur avec un grand P. ! Et puis de dire encore:
– Presque 40 ans les séparent !
-Non 39 au printemps qui arrive… Minimise Hervé qui connait l’incroyable histoire.
René hoche la tête :
-C’est vrai qu’ c’est pas banal, c’t’histoire . Dommage que j’n’ai pas une testeuse comme ça, moi. Enfin, c’est peut-être mieux, ce serait un peu déloyal vis-à-vis des grosses structures industrielles. Personne ne peut rien nous reprocher, comme ça! On ne restera qu’une petite épine dans le pied de Super Bait.
Et puis de commenter l’absence des carpistes maintenant:
-Oui, c’est vrai Hervé, pourquoi, n’y a-t-il personne aujourd’hui ? On a le temps idéal pour en prendre une jolie, au moins, encore qu’elles se font malignes, elles connaissent toutes, la musique… de mes bouillettes et puis, j’ai beau avoir innové avec mes Wild Fruit, rien n’est jamais sûr ici ». « Ni ailleurs, je le reconnais, la pêche de la carpe n’est pas une science exacte. Tant mieux !
J’en ai marre de leur blabla, moi. Ca les intrigue qu’il n’y ait personne mais y en a pas un qui aurait l’idée d’appeler un Woms* ! Il m’agace, il m’agace…J’enrage.
Ah ! Les grands esprits se rencontrent. Quand même ! Ce n’est pas trop tôt ! René prend son téléphone. J’espère qu’il va appeler Robert, le coordinateur du commando. Taisez-vous, les Corbeaux, j’écoute moi ! Enfin j’essaie…Croâ, croâ, croâ…Ma parole, ils sont sourds ? D ’un saut magistral, je fais fuir ces Blacks-Fâcheux. Zut, j’ai fait sursauter mes deux voisins…J’ai beau avoir des neurones, je n’avais pas pensé à ça. Comme ils sont préoccupés, ils n’attachent pas longtemps de sens à ce saut sonore si près de la rive. Ouf, j’ai eu chaud…
René :
_ « Allo, Robert, c’est René ». « René de Liberty Bait».
Robert doit l’avoir identifié. Je vois René qui hoche la tête et qui raccroche son sourire. Il se gratte la tête et ne dit plus rien.
Après un long moment d’écoute, il reprend la parole. C’est vrai qu’avec Robert, ce n’est pas facile d’en placer une. Autant il est lent quand il tchatte, autant il est volubile à l’oral. Une vraie pipelette mon Robert quand il parle avec Savate’man ! Et puis celui-là, il n’est pas en reste : Quelle chanson ces deux-là ! Et puis c’est toujours l’éthique, l’éthique et puis les vraies valeurs de la pêche. Ca « philosophaille » comme les brocarde Thomas F. l’inventeur du Mustang, un rod-pod génial, paraît-il. Tellement génial que c’est devenu le pseudo de Robert sur Facebook. Et oui, Robert RodPod, c’est mon Robert à moi. Attendez, j’entends un qui parle…
René :
-Bon, si je comprends bien, tout le club est à ce trou à pisse où il y a plus de carpes que d’eau ? Bon, Robert, on arrive et on se joint aux autres. Faut qu’on les attrape au plus vite les deux bestioles avant qu’elles ne choppent la Virémie Printanière. Allez Hervé, on plie dare-dare et on fonce à Buchen’Lac ! Je t’explique tout en roulant…
Buchen’Lac, je le sais moi, Germaine, c’est le nom que tous les Woms* donnent à ce petit « Centre » de pêche qui était tenu par Un dont je tairai le surnom qui est dans la même veine sémantique que celui du lac. Pour se faire une idée de ce « Centre », je devrais plutôt dire milieu, et milieu à bien des titres, tant les raisons de médire sont nombreuses. Enfin moi, ce que j’en sais, c’est ce que mes ouïes ont pu glaner en rôdant le long des berges. Mais, même avec des variantes, tout ce recoupait. Buchen’Lac portait bien son nom. Et à ce qu’il parait, des camions apportent souvent des sacs de poudre blanche qui chauffe quand on la mouille… Moi, je ne comprends pas ce que ça sous-entend. A la ballastière, chaque année notre gérant met un peu de cette poudre dans l’eau. Il paraît que c’est sain pour un vieil étang eutrophisé, qu’ils disent… Eutrophisé, tu m’en diras tant…
Je vois, non, j’entends plutôt la camionnette démarrer, les vibrations qui me parviennent sont révélatrices. Et puis ça ne part pas doucement, un véritable nuage de poussière monte au-dessus de l’endroit où je suis encore embusquée. Ben dis donc ! Il va y avoir plus de pêcheurs à Buchen’Lac que de mètres de rive. Mais comment vont-ils faire pour retrouver Pauline et Lucie au milieu de ce bouillon de culture ? Ca risque bien d’être aussi difficile que de retrouver un hameçon de 8 sur un gazon anglais fraîchement tondu !
Mais moi, Germaine, je connais la ferveur de mon Robert. Il va trouver comment les reprendre mes deux coquines, pardon, mes deux copines. C’est que je les aime ces deux pimbêches, moi. Elles sont tellement marrantes avec leurs bêtises. Sans elles, c’est simple, les jours de temps gris et ben, on déprimerait ! Nicole ne peut pas tout guérir avec sa « psychologie ». Il faut rire ! Le rire, l’humour, un peu comme l’amour, c’est le remède à tout. J’ai mon Robert, d’accord, mais il ne vient me voir que le mercredi. Entre temps, si je n’avais pas Pauline et Lucie, et ben je m’ennuierais.
Maintenant, je n’ai plus qu’à attendre. Malgré mon apparente passivité, je suis une hyper anxieuse. Comme quoi, les apparences sont trompeuses. Bon, je vais aller voir Nicole à son cabinet, une vieille barque coulée dont j’ai oublié de vous parler, l’autre jour. Nicole, c’est non seulement notre médecin de l’âme, mais aussi la doyenne de la ballastière. Elle, elle peut se vanter d’en avoir vu après 35 printemps de présence en ces lieux. Cela fait 15 ans que personne ne l’a piégée. Les Woms* se demandent même si elle est encore là ! Plus discrète, tu meurs !
Je m’égare ? Non, j’attends le retour des copines et le temps me semble si long. Allez, je vous emmène voir Nicole…Je ne mange même plus, moi, depuis le début de cette histoire. Les vers de vase ne m’asticotent même pas. Pourtant, ces petits vers rouges rubis, quel délice !
Bonjour Nicole…
PS : Club Woms : Wild Old Men Spirit !

 

Germaine et les Rôdeurs.

Voilà deux semaines que Pauline et Lucie n’ont pas donné signe de leur présence dans la ballastière ! C’est vrai qu’elles sont espiègles, ces deux-là, et qu’elles n’en sont pas à leur première farce pour faire bisquer  Germaine qui se sent un peu responsable de toutes et de tous  au sein de la communauté à écailles. Intuitivement pourtant, cette fois, Germaine sent que ce n’est pas une énième facétie des deux chipies.

Interrogée, Germaine vous dirait ce qu’elle pense de ses deux amies qui n’ont que l’apparence d’adultes malgré leurs 15 printemps ;  et comme elles ont une très belle allure, l’une cuir intégral et l’autre superbe tarte aux pommes et font déjà 16 et 17 kilos, elles excitent  bien des convoitises pour les silhouettes sur la rive. Le malheur pour elles, c’est leurs péchés de jeunesse : gourmandise et curiosité ! Et ce qui devait arriver,  arriva : elles se sont fait prendre plusieurs fois,  et leur photo a circulé sur Facebook , et tous les internautes savent désormais où elles nagent ! Enfin,  où elles  nageaient car, jusqu’ à preuve du contraire, elles sont aux abonnées absentes à la ballastière…

 Moi,  Germaine, je veux revenir sur  l’origine de cette disparition. Oui, il y a deux semaines elles  étaient là,  la camionnette  avec le bassin à l’intérieur aussi. Le Michel qui avait grommelé que la cuve était trop pleine et  avait mis  ensuite ses montages à bonne distance du chêne immergé,  n’avait-il pas dit :

« Ah ! Cette fois,  si on ne les attrape pas la Pauline et la Lucie, je veux bien manger ma casquette Tash ».

Et d’ajouter : 

 « IL pousse un peu, l’ Peter,  comme si c’était facile de capturer à la commande ! Et en plus deux stars du net !   Des carpes,  on peut en prendre tant qu’on veut à Cabanaute, tant qu’IL veut !  Mais non, ce sont  Pauline et Lucie, qu’il exige le Boss » !

 J’en savais assez maintenant, il fallait que la chance m’aide un peu. Je vais traîner le long des rives et passer tout près sous les lignes tendues (bien trop tendues d’ailleurs pour être « pêchantes »). Enfin, ça ce n’est pas l’urgence ; je mène une enquête sur l’absence de deux carpes spécimens ! La technique, j’aurai le temps de la commenter plus tard…pour rire un peu. L’heure n’est pas à la rigolade. Ces deux types, nombre de silhouettes qui fréquentaient notre domaine les critiquaient.

Et c’était des commentaires du genre:  « Et les frères Tichko*** par ci, ah les frères Tichko, par là ». Ca c’était la piste à suivre, c’est sûr…

Mais comment entrer en communication avec des bipèdes, sauf à sauter comme une folle ! Et puis  ces idiots, ces excités  vont  me lancer leurs montages  là où je vais sauter ?

Bon, il faut que je m’y prenne autrement…

Ce qu’il faut d’abord, c’est les écouter  parler et il sera toujours temps de me manifester d’une manière ou d’une autre. Sandal’man  est là aujourd’hui avec son copain  Guillaume G,  qui a un nom rigolo. Ce sont, l’un et l’autre,  des Woms ( du Wild Old Men Spirit’ Club) et ils nous vouent  une véritable admiration. Presque de l’idolâtrie ! D’ailleurs,  les deux disparues ont apprécié le moelleux de leur tapis, plus d’une fois ! Ils ont des accointances avec la  LCTC que dirige l’intraitable Christophe Grincheux. Ce matin, ils sont, eux aussi,  inquiets et nerveux me semble- t-il ?

Sandal’man n’arrête pas de parler :

« Dis, je crois bien que Pauline et Lucie ne sont plus là ».

Et  Guillaume G.  de lui répondre :

 « C’est vrai qu’il y a un bout de temps que personne ne s’est vanté de les avoir attrapées ».

 Et d’ajouter :

«  Les frères Tichko ont été vus plusieurs fois à la ballastière et puis ils y  sont restés toute la deuxième quinzaine d’avril, nuits comprises».

Je suis contente car au moins je ne suis pas la seule à m’interroger. Mieux,  ils s’inquiètent vraiment les deux Woms*. Je vais sauter une fois ou deux pour leur signaler ma présence. Peut-être comprendront-ils pourquoi je saute si près de leurs batteries ? Et puis cette nuit, j’ai labouré le fond et j’ai les branchies un peu encombrées, je ferai de mes sauts un acte de toilette salutaire. ..  à double titre, j’espère ? Allez, je me lance…splatch une fois, splatch deux fois ! Zut !  Je suis retombée deux fois sur le même côté, mon ouïe  gauche n’est pas assez  nettoyée ! Et splatch,  une fois de plus. Cette fois, je suis nickel et je respire nettement mieux. Mes deux Woms* sont interloqués sur la rive.

Savate’man a hurlé :

«  Mais c’est Germaine ! J’en suis sûr, j’ai vu sa ligne d’écailles » ! « Qu’est-ce qui lui prend à sauter comme ça, si près du bord, elle a mangé des épinards ? » « On le sait que tu ne mords qu’aux lignes de Robert, ne te fiche pas de nous, coquine ».

Et d’ajouter,  plus sérieux : 

« Attends, je crois qu’elle essaie de nous faire comprendre quelque chose »…

 Bon, il faut que je les mette maintenant sur la piste des ravisseurs. Je vais sauter de loin en loin jusqu’au poste qu’ils ont squatté toute l’autre quinzaine, les frères Tichko**. Ils trouveront peut-être des papiers qui les mettront sur leur piste. Et splatch encore et encore… C’est épuisant de sauter comme ça, à en perdre haleine.  Ah ! Ils ont compris, ils suivent… Je saute maintenant à en mourir de fatigue juste  devant le poste des malfrats. Savate’man et son pote ont l’œil  rivé au sol.

J’entends Savate’man s’exclamer : 

« Regarde, deux pochettes d’hameçons Peter Tash » !

Et puis encore :

« Et ça Guillaume, ce serait bien un passe-bouillettes de cette marque ? ».

 J’entends qu’un autre Woms* arrive et se dirige vers mes deux presque amis. Enfin non, pas presque, les amis de Robert sont aussi  mes amis. Ah ! Mais C’est Gégé Dunord. Il a l’air excité comme une  puce. Il ne marche pas vers Savate’man  et Guillaume G., il court ventre à terre vers eux !

 « Eh les gars » commence–t-il essoufflé lui aussi : «  vous ne connaissez… pas la dernière ? »

«Quelle dernière Gégé » ? lui répond Savate’man. « Pardon, bonjour Gégé » se reprend Savate’man,  « tu as l’air survolté, mon Gégé, que t’arrive-t-il mon ami » ?

Et j’entends Gégé depuis l’endroit où je stationne,  leur dire en termes haletants:  « Eh ben… c’est simple… il y a… un type… qui pêche… le Fameux… Centre de… pêche douteux… qui maintenant… exhibe les photos… de Pauline et… de Lucie » ! « Peut-être n’est-il… pas au courant… qu’elles viennent… d’ici ? »

Savatel’man fronce les sourcils, je le vois bien car ils les a  très fournis et broussailleux,   et puis son visage s’est tellement assombri que je remarque bien,  d’où je suis,  dans quel émoi il est.

 Guillaume G semble,  lui aussi, interloqué par ces nouvelles. Moi, au contraire, je suis de plus en plus rassurée. Je les connais les Woms*, ils ne vont pas laisser tomber  l’affaire. Je pense même qu’il va y avoir du ramdam. Je sais déjà, je le vois : Savate’man appelle avec son portable et pas besoin d’être l’intellectuelle de la ballastière pour deviner qui est son premier interlocuteur et qui sera le second.

J’entends : « allo Robert ! » Bon,  Robert est mis au courant.

Et puis dans la foulée, je sais que celui qu’il appelle maintenant, c’est le gars  de la LCTC,  Christophe Grincheux. Lui,  il ne rigole pas du tout avec les trafics de spécimens. Avec  sa bande, ils ont déclaré une guerre à mort aux trafiquants.  Je reprends confiance pour mes deux amies. Avec les Woms*, rien n’est impossible et je sais que l’enquête que je ne peux pas faire sur le plancher des vaches, Eux ils vont la continuer et la mener rondement.

Moi, à la place des Frères Tichko, je raserais désormais  les rives en me faisant tout petits.

Eh ben les gars ! Enfin,  ce n’est pas trop tôt: vous commencez enfin à piger. Ben oui, je voulais  vous faire comprendre ceci : comme vous le supposiez tout à l’heure, Pauline et Lucie ont « déménagé » et  c’est sûrement les Frères Tichko qui sont dans  ce mauvais coup. Je vous passe le relais. Comment pourrais-je faire autrement ? Je suis fière de vous et pas mécontente non plus que vous rappeliez mon existence à Robert. Il me délaisse en ce moment, j’espère qu’il n’a pas de problèmes… Je le connais, il « s’introspecte » beaucoup trop depuis quelques temps. Allons Robert, tu n’as plus l’âge de te poser des questions existentielles. Carpe diem ! Que diable mon très cher Robert !

PS :Woms : Wild Old Men Spirit.

Un concert de grenouilles gratuit.

Par Dominique Audigué

 

Je fais partie de ces humains sur lesquels la nature exerce un attrait sans cesse renouvelé. Je contemple  des paysages que je connais depuis 40 ans et je les redécouvre toujours un peu  plus à chaque fois. De la même manière qu’on ne peut trouver deux feuilles parfaitement identiques sur le même arbre (parait-il), le même cadre mille fois contemplé me révèle ses multiples métamorphoses et suscite à chaque fois le même émerveillement, naïf peut-être, selon les saisons, les météos, les différents moments d’un jour ou sûrement aussi mes états d’âme…Je devrais me flatter de pouvoir « feuilleter » la nature sans en éprouver la lassitude du « déjà vu » et même revu et re-revu si cela ne m’enlevait pas en partie, l’envie d’aller voir ailleurs si d’autres panoramas ne méritent pas  ma… contemplation.

Grenouille

Mes plus beaux « voyages »  sont peut-être  ceux que j’ai faits,  allongé sur mon canapé… devant un documentaire d’ARTE ! Il n’en reste pas moins, comme je n’ai pas une vie de reclus, que tout mon être est tourné  vers l’extérieur et est avide de ce que la nature m’offre d’émotions gratuites, où que je me trouve, en tout lieu et toute circonstance. Tout m’intéresse et tout me captive ! La fleur sauvage la plus modeste, l’insecte le plus insignifiant, l’oiseau le plus ordinaire sont des déclencheurs d’intérêt et je dois à cette particularité psychologique de ne connaître jamais l’ennui. 

Au milieu de cette nature, exubérante partout pour celui qui sait la regarder, il y a des animaux ou des plantes qui me fascinent plus que d’autres. Pour éviter de multiples digressions probables, je me connais,  je me bornerais à ne  citer que trois d’entre mes « préférés » : la tortue (la cistude d’Europe par exemple car de « chez nous »), l’escargot (petit gris, bourgogne ou autres colimaçons non identifiés) avec une préférence assez marquée pour les plus gros, les bourgognes. Allez donc m’expliquer pourquoi ces bestioles, qui n’ont guère « d’expression » aux yeux du plus grand nombre des humains, génèrent en moi, cette curiosité quasi enfantine. Le fait que ces deux êtres très lents et dont « l’intelligence » ne figure pas en tête du classement que les scientifiques  ont établi pour le règne animal m’étonne moi-même ! Le Q.I d’un escargot ne doit pas culminer plus haut que la plus basse des pâquerettes. Et celui d’une tortue, doit se trouver à des années-lumière de celui du dauphin.

Mais c’est quoi l’intelligence ? Un homme instruit, à qui je posais un jour la question, m’avait répondu ceci : c’est la faculté de survivre en milieu hostile. Donc ces deux sous-sous primates sont « intelligents » assurément ! Le premier à qui l’agriculture moderne a donné à bouloter des milliers de tonnes de granulés anti-limaces, fait toujours partie de la biodiversité et le second, bien que nonchalant,  a été contemporain des dinosaures. Donc, et malgré  les apparences, force est de constater que ces deux « Tranquilles » méritent bien un peu d’estime. Et de considération. Ils ont la mienne ! C’est mon instinct à moi, d’estimer ce qui laisse indifférent le plus grand nombre…

J’évoquai 3 bestioles ? Je garde pour la fin, la troisième, ma préférée depuis que j’ai la preuve que la grenouille comprend le langage humain et  a peut-être l’un des travers de mon espèce, la vénalité. Ne se dédouane t’on pas de ses propres défauts en les voyant chez autrui ?

Pour prouver mes dires, je vais raconter une petite histoire vécue en compagnie d’un ami parisien qui lui aussi s’émerveille de tout et de rien. C’est vrai que le contraste entre le vert de la nature et le gris du béton de la ville  peut générer des émotions nouvelles.  Le cadre de l’histoire, ce sont les rives d’une vieille ballastière où nous avions choisi de faire une partie de pêche. C’était un début d’octobre. Il faisait beau et la soirée promettait d’être douce et agréable. Mon ami n’en finissait pas de m’exprimer sa satisfaction d’être là au centre d’un ilot de nature simple  lequel se trouvait lui-même au milieu de centaines d’hectares de culture intensive. J’ai oublié si les poissons étaient de la partie. Je pense  que j’étais trop étonné de l’étonnement de mon camarade pour que les résultats ou l’absence de résultats est eu un quelconque intérêt pour être rangés dans ma mémoire. Question de priorité sans doute…

Cyrille avait les yeux partout. Et chaque « découverte » amenait un commentaire circonstancié. Une fourmilière, des ruches et leurs habitantes, les poules d’eau et leur appels,  d’autres cris d’oiseaux divers et invisibles ou presque, la silhouette torturée des chênes, les sauts de carpes, tout et n’importe quoi était prétexte à palabres abondants. J’étais en compagnie d’un naïf de mon espèce qui avait, si j’ose dire, une naïveté encore plus naïve que la mienne. Pour une fois, je n’étais pas seul à me sentir en paix avec la nature. Et  avec moi-même… Nous étions deux et malgré le fait que je me retrouvais complètement dans cette béatitude,  il était réjouissant et drôle d’entendre toutes les considérations que Cyrille exprimait comme si c’était vital pour lui qu’il les fit !

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Un petit feu à même le sol, quelques brochettes en guise de dîner et mon parisien était au comble de la félicité. La nuit arrivait doucement et nous promettait d’envelopper notre sommeil d’une  grande quiétude… Pour une première pêche de nuit, une météo clémente est souhaitable. Elle allait l’être…

Tout à coup, dans le silence propre à ce moment qu’on appelle entre chien et loup,  un coassement retentit, suivi de plusieurs autres et enfin, tout ça en quelques secondes, de toute la chorale des batraciens du plan d’eau.

Et là Cyrille  prononce la phrase qui tue. La phrase qui rompt le charme !  La phrase qui prouve que nous ne sommes pas les seuls à écouter la nature mais que la nature, elle aussi,  nous écoute et nous guette, nous espionne peut-être et qu’elle comprend tout ce qu’on dit et pour ce qui concerne au moins  les grenouilles, le langage humain. Au comble de sa joie mon ami dit avec un rien d’exaltation: « Et en plus, on a un concert de grenouilles gratuit ! » Sauf qu’à l’instant où ces mots sont sortis de sa bouche et sont partis vers l’onde, la chorale a cessé immédiatement prouvant deux choses. D’abord que les grenouilles, même si elles ne le parlent pas notre langue,  comprennent à demi mot le français et ensuite que comme tout artiste qui se respecte, pas d’argent, pas de chanson. Pas une seule grenouille n’a poussé, de toute la nuit,  ne serait-ce qu’en solo, sa complainte coassante.  Pourtant, certaines nuits de mon passé de pêcheur de carpe, j’aurai bien, si j’avais pu, arrêté la « musique ». J’avais le moyen, et je l’ignorais. Juste dire,  comme ça, à la cantonade et en français intelligiblement et fortement exprimé : « et en plus j’ai un concert de grenouilles gratuit !

Germaine de La Ballastière…


J’ai  acquis mon titre de noblesse à la fin des années 80. Avant je m’accommodais de ma roture et je ne m’étais seulement jamais  posé de questions à ce sujet. Etre noble, qu’est ce que c’est ? A force d’entendre, quand je rôdais près des rives, les silhouettes dire de moi et de mes congénères que la carpe était un poisson noble, j’ai fini par me familiariser avec ce vocable. D’autres silhouettes qui,  elles, ne venaient pas pour les carpes mais les brochets affirmaient que non, les carpes n’étaient pas des poissons nobles. Et ça s’engueulait sur les rives entre tous ces passionnés de la cause halieutique. Ah, ils nous ont bien fait rire, mes copines et moi,  tous ces disciples de Saint-Pierre comme ils s’appelaient de temps à autre. Enfin nous,  nous sommes  muettes prétendument mais eux, quelle logorrhée !

 Finalement tous ces blabla étaient devenus une distraction quand ce n’était pas, tellement (ça gueulait parfois) une attraction de foire ! En dehors de ça, le monde paisible où je nageais ne manquait pas de pittoresque. Je veux absolument vous faire visiter le domaine que je partage avec mes amies mais aussi avec une dizaine d’espèces qui n’appartiennent pas toutes  à ma grande famille, les cyprinidés. En haut de ce que les silhouettes appellent la chaine alimentaire, il y a Maître Esox et sa descendance, armés jusqu’aux dents,  prêts à bondir !  Bien sûr, petite,  il m’avait bien effrayé et même manqué de peu certaines fois mais nous avions fait la paix. Il m’avait expliqué son rôle utile pour le bon fonctionnement sanitaire notre habitat liquide. Il n’était pas là pour manger de la salade mais pour faire (comme il disait) de la sélection naturelle. C’est-à-dire,  dévorer les mal-en-point, les faibles, les lents pour qu’il ne reste que les plus beaux individus de toutes les espèces. Nous,  à part la tanche, le médecin des poissons, pas d’autres structures médicales.  C’est triste, certes,  de voir disparaître les plus faibles  des nôtres, mais si la loi de la nature est dure, elle n’en reste pas moins la Loi. Parfois, j’entendais aussi  les silhouettes parler de leur loi,  tout aussi dure avec nous, surtout les pauvres ! J’ai même entendu une belle phrase d’un certain Jean de la Fontaine : « selon que vous serez puissant ou misérable,  les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Finalement la loi de la nature est bien plus douce, et plus  juste aussi. Ensuite, il y a toutes mes copines. Nous ne sommes pas très nombreuses de notre espèce. Tout au plus une trentaine mais nous resplendissons de santé mises  à part quelques « gueules déchirées ». Je vous les présenterai les une après les autres dans la suite de mes aventures s’il vous plait de les suivre…

 Notre « corps médical » se compose de 15 tanches, médecins et infirmières confondus. Ils suffisent pour soigner nos petits bobos. Messire Esox et les siens s’occupent des individus  gravement atteints… Quelques perches-aides-soignantes  les assistent pour les alevins difformes ; elles abrègent bien des avortons avant que d’autres animaux plus féroces encore ne s’en chargent, comme les écrevisses et les larves de libellules… Il y a aussi toute une marmaille de gardons et de rotengles qui, bien que se ressemblant,  ne sont que cousins. Les uns, les gardons affectionnent le fond et les autres,  les rotengles, la surface. Quelques loches  se plaisent sur les zones les plus molles et sont de bonne compagnie. J’ai fait le tour de la gente aquatique. Maintenant passons à la topographie des lieux. Les fonds sont partagés en zones de faible profondeur et de grands fonds, de surfaces dures ou au contraire très vaseuses. Selon les époques, nous, les carpes, nous préférons les unes ou les autres. A certaines périodes, la vase est truffée de petits vers rouges rubis qui sont un peu notre drogue mais aussi celle de tous les habitants de notre étang, à l’exception des brochetons,  encore que, à leur stade alevin, ils en mangent aussi ! Il y a aussi des hauts-fonds qui sont des  endroits où seules nous les carpes stationnons quand au sortir de l’hiver  il nous faut du soleil pour renaître tout à fait. Ces endroits sans vase, constitués essentiellement de sable et de galets,  nous attirent  aussi lors des canicules estivales  surtout si le vent se fait rare et que nous manquons d’air. Sur les bordures plus ou moins accidentées, il y a un gros chêne immergé partiellement. Dans ses branches aussi bien celles qui sont immergées que celles qui apparaissent à la surface, des guirlandes  de  filaments de toutes les couleurs et des montages, plombs et hameçons  s’oxydent par dizaines. Certaines silhouettes ne pêchent que là. Et bien souvent pour ne pas dire toujours  leurs montages tombent dans l’enchevêtrement de branches sans aucune chance d’en ressortir. Nombre de mes amies se sont fait piéger et en gardent un souvenir amer…à la bouche. Maintenant elles se méfient et ne touchent plus à ce qui tombe sur cette zone de sécurité. Mais que de souffrances inutiles ! Ces pêcheurs-là ne sont pas très sympathiques. Ils ont une camionnette et une cuve à l’intérieur car, l’autre jour, l’un d’eux a dit : « Michel, tu as mis trop d’eau dans la cuve, y en  a plein partout ». C’est inquiétant cette cuve,  d’autant que 2 de mes amies ne viennent plus me voir et personne ne sait où elles sont depuis  plusieurs semaines. Il faudra que je tire ça au clair…

Plus loin, il y a sur le fond de notre ballastière, une très vieille nasse qui est envasée et qui est toute déchirée par la rouille. Elle abrite une perche-soleil que j’ai oublié de vous signaler.  C’est vrai que celle-ci ne supporte aucun voisin. Une humeur ! Je ne vous dis que cela. Pour rigoler un peu avec mes copines, les jours où il faut que nous faut faire la toilette de nos branchies encrassées de vase, après un festin de petits vers rouges, nous sautons comme des folles à proximité de cette vieille nasse. Et les silhouettes qui nous voient de loin lancent leurs  montages dessus. Bien sûr,  quand ils veulent retirer leurs lignes, c’est accroché dans le grillage ! La perche-soleil fait une comédie ! Vous n’imaginez pas. Et elle dit : « j’en ai marre,  si on ne peut plus être maître chez soi, je vais leur faire un procès » ! Et puis elle se remet à bougonner dans son coin de grillage.  Je ne sais pas ce qui nous amuse le plus, mes copines et moi : si c’est de voir les silhouettes grogner en cassant leurs  lignes ou Madame Perche-Soleil qui parle d’avenir… judiciaire.

 Enfin, on s’amuse bien. C’est fou ce que certains pêcheurs sont impatients de capturer un poisson et surtout un très gros alors qu’il est impossible, si on ne prend pas le temps de nous faire sortir de nos repaires,  d’avoir une petite  chance de nous déposer sur un tapis.  Moi, Germaine, si j’étais à leur place, je me contenterais de jouer avec les boules qu’ils sortent parfois pour tuer le temps. 

Sur un autre bord, il y a un grand chêne plusieurs fois centenaire qui, à l’automne,  fait pleuvoir ses glands à profusion sur nous qui en sommes friandes en cette saison quand toute autre nourriture se fait rare. C’est la fête des glands ! Il y a aussi beaucoup de silhouettes sur la rive… Aucune de nous  ne  la raterait,  pour rien au monde,  cette fête,  sinon  peut-être pour une overdose de vers de vase. Mais eux, ils sont comme « envolés ». Plus un seul, c’est désespérant !  Enfin, nous le savons, il faut manger la nourriture de saison, et ne pas faire comme les humains qui veulent des cerises à Noël…

 Je dois oublier des détails car comme vous le savez, on ne voit pas ce qu’on a sous les yeux ;  l’habitude nous masque souvent ce qui est le plus beau. Je ne manquerai pas de dire ce qui fait encore notre environnement. Ce sera dans une autre histoire.

 Ah !   Mais si ! J’oubliais le vieux tonneau de fer. Un jour,  une grande tempête a précipité un énorme bidon cylindrique qui était utilisé pour stocker des graines pour les oiseaux à bec plat. Il ne servait plus depuis longtemps et le vent l’a arraché du sol,  où d’ailleurs, il a laissé son fond rouillé. Il a coulé à pic sur une zone profonde de 2 mètres. C’est un allié de première importance. Quand l’une de nous se fait piéger à proximité, elle fonce direct dans ce tunnel et prend son virage bien court  à la sortie. Et crac, libre à nouveau avec, certes,  un piercing qui partira de lui-même au bout de quelques jours.

 Voilà, nos journées vous semblent monotones ? Non, il n’en est rien ! Chaque jour nous amène des silhouettes qui ne sont pas toutes, c’est sûr,  affiliées au  club de Robert, force est de le constater,  mais rien qu’à  l’idée de le revoir, lui,  mon Robert,  j’en frétille de joie. D’ailleurs cela fait quelques temps que je ne l’ai pas vu. J’espère qu’il va bien ? Avez-vous de ses nouvelles ?

 

Germaine et Robert…

 

On m’appelle Germaine ! Ce prénom, je ne l’ai pas depuis très longtemps. Il m’a été donné quand j’ai atteint l’âge vénérable de 20 ans. Je vis dans une vieille ballastière de 7 hectares, je ne sais trop où sur cette terre, le seul voyage que j’ai fait, c’est celui que je dois à un pêcheur de brochet,  de sa mare à vifs à cette ballastière riche en requins d’eau douce. Je voyais bien défiler le ciel depuis le grillage de son seau mais je serais bien incapable de dire  quel chemin il a pu emprunter pour m’amener dans ces eaux pleines de danger. Je sais que je ne reverrai plus, ni mes frères et sœurs ni ma famille. Ce voyage aurait pu être le dernier, mais au moment où ce pêcheur a voulu me locher, j’ai glissé de sa main humide et suis tombée à terre. Avant qu’il n’ait eu le temps de dire ouf, et en trois soubresauts,  je me suis retrouvée dans l’eau. Deux coup de queue de plus et je lui échappais définitivement.  Ce jour-là, j’ignorais tout de la vraie vie et aucun des dangers que j’allais affronter ne m’était connu. J’ai tout d’abord échappé à une première chasse de Maitre Esox en me réfugiant dans une vieille cruche jetée là par je sais qui. J’ai compris  que cette poterie serait un repaire sûr tant que je pourrai m’y loger. Son entrée rétrécie ne permettait pas aux dents de l’étang de m’en extirper. Mais, les premiers temps, quelles peurs j’ai ressenties… On ne peut l’imaginer sans avoir été carpe soi-même. Le temps a passé, les semaines, les mois,  l’année… Après un an, je me suis trouvée à l’étroit, et il a bien fallu trouver un autre endroit pour me loger plus confortablement. J’ai eu de la chance : un jour où je faisais une sortie prudente, je suis  passée près d’un monticule de roches sur  lequel une vieille branche s’était amarrée. Je pesais alors un bon kilo et j’ai pris le risque d’y élire domicile, l’œil aux aguets,   même si les brochetons ne semblaient plus s’intéresser à moi depuis quelques temps. Instinctivement, je savais que leur maman n’avait pas renoncé, elle, à me croquer. Un an plus tard, ce danger-là  n’avait plus cours : j’approchais de deux kilos,  ce qui me donnait,  en quelque sorte, l’immunité aquatique.  Depuis ces deux logements successifs, je me suis instruite de la vie des eaux douces. Il tombait parfois de la grêle, et chose étonnante,   les grêlons étaient de toutes les couleurs, et même sentaient souvent très bon. Ou alors vraiment très mauvais !  Je me suis approchée de ce haut-fond pour essayer de comprendre quels étaient ces grêlons qui tombaient même par jour de grand soleil ! Elles étaient tentantes ces petites boules jaunes, rouges, bicolores, sombres, claires et très goûteuses alors je me suis contentée de donner du groin dedans car impossible pour moi  de les avaler. Il a fallu que j’atteigne une autre taille pour pouvoir les croquer avec mes dents pharyngiennes. Mais quel délice ! J’en mangeais beaucoup de ces billes, en plus de tout ce qui passait à portée de ma bouche : escargots, vers, larves d’insectes, et aussi toutes sortes de graines qui tombaient en pluie,  souvent le dimanche et les jours de fête. C’était d’ailleurs ces jours-là que sur la rive  je voyais le plus de silhouettes et qu’il y avait  le plus d’activités bruyantes. J’ai mis longtemps à comprendre que c’était ces silhouettes, et  qui jetaient les billes colorées et les graines moelleuses dont je faisais mes délices. N’ayant pas fait d’études et n’ayant pas eu de famille, j’ai appris seule la vie. Ca forge le caractère mais il n’est pas facile de devenir ce qu’on est sans méthode et sans instruction. Maintenant, je passe pour une intellectuelle et même Le grand brochet qui voulait me manger quand j’étais petite, me demande de m’occuper de ses démarches administratives. En échange, il m’a promis de ne jamais manger mes enfants quand j’en aurai. Il se trouve que je n’ai toujours pas rencontré mon âme sœur dans mon biotope. Le cœur d’une carpe a ses raisons que la raison aquatique ne connaît pas.

 Un jour que je faisais ma petite sortie gastronomique, j’ai vu une bille qui vraiment était d’un parfum irrésistible. J’ai appris depuis qu’elle était parfumée au Scopex. Je me suis approchée et goulument, je l’ ai aspirée. Quel goût ! C’était presque l’extase. Et je suis repartie, la boulette en bouche vers une autre que je humais à distance. C’est alors  que j’ai ressenti  une  très vive piqûre  dans  ma lèvre inférieure. Oh la peur !  J’ai donné un grand coup de queue pour fuir  l’endroit, et là je me suis sentie retenue par une entrave invisible. J’avais beau partir, une fois à gauche, une fois vers le large, une fois à droite, c’était inexorable, j’étais tirée vers la rive. Je me suis battue contre cette résistance  jusqu’à en perdre la mienne. La rive s’est approchée, et là, j’ai vu plus nettement une silhouette qui tendait une épuisette (j’ai su le nom de l’objet plus tard) et qui m’a emprisonnée. J’étais folle de terreur. D’autant plus que cet être m’avait vraiment malmenée, et ma bouche saignait de toute cette violence. C’était un carpiste ! Après,  j’ai eu des précisions, c’était un de ces carpistes qui s’appellent  entre eux, des Wild Spirit.  Il m’a posé plus ou moins délicatement sur un tapis aussi impressionnant par sa surface que par son épaisseur. J’entendais le carpiste maugréer : « Ah c’est un pin ‘s » !  Je me demandais : « c’est quoi un pin’s » ? Il m’a retiré le fer qui était accroché et là encore, ce fut bien douloureux  tellement il s’y prenait mal pour me décrocher. J’ai saigné et j’ai craint pour mon sourire,  à l’avenir. Après ça, ce pêcheur m’a rejetée à l’eau, jetée plutôt car j’ai  fait un plat sonore : «aïe » en tombant sur la  surface de l’eau.  J’ai bien vu que je n’avais pas contenté ce pêcheur ; je ne sais pas pourquoi. On dit que je suis belle pourtant,  et ma rangée d’écailles dorées sur ma ligne latérale me vaut des compliments de tous les mâles en mal d’amour. Mon charme est passé inaperçu pour le bipède !

 Par la suite, je ne me suis plus laissée tenter par les billes qui sentaient le Scopex,  mais bien d’autres Wild Spirit m’ont abîmé la bouche en me tirant violemment de l’eau et en me relâchant sans ménagement.  J’ai appris à devenir méfiante et je me suis détournée presque totalement de ces billes multicolores et même des graines de toutes sortes. J’ai vécu de la nourriture naturelle de la ballastière. Et j’ai  aussi, au fil des années, pris du poids et je suis devenue celle que je suis,  un spécimen comme disent les Wild Spirit.  Ils étaient fous quand ils m’apercevaient, nageant entre deux eaux ou stationnant sous des branches en surplomb. Ah ça c’est vrai que je les ai fait bien enrager à bouder leurs esches sophistiquées et leur The Méthod !

Un jour, sur la rive, j’ai aperçu un autre bipède, très grand et dont la chevelure grise était pleine de clairières. Il parait qu’on dit calvitie partielle. Nous,  les carpes, on n’a pas de cheveux. Notre parure d’écailles est notre toison. Parfois, les Wild Spirit nous arrachent l’une de nos écailles en nous manipulant violemment. Heureusement, elles repoussent.  Ce pêcheur était en tout point différent de tous ces bipèdes que je connaissais depuis ma première capture. Calme, silencieux, mesuré dans son amorçage, il était vraiment… attirant. Pour l’observer tout à mon aise, je suis restée à rôder sur la zone où il avait tendu ses lignes. Vraiment ce pêcheur me fascinait, et puis, je  l’avoue,   que les effluves qui dégageaient de ses appâts, bio c’est sûr,  flattaient mes toutes petites narines. Il m’est revenu cette odeur de presque enfance et je n’ai pas pu ne pas en prendre une de ces billes-là, je salivais vraiment trop. Et c’était si bon que je me suis précipitée sur une autre et encore une autre…jusqu’à me prendre au piège. Je craignais le pire. Ma lèvre serait arrachée et j’allais être molestée… Eh bien non ! Bien sûr,  l’hameçon (j’avais appris entre temps le nom de ce fer tordu qu’utilisent les pêcheurs pour nous capturer)  était bien planté dans ma lèvre. Mais ça ne faisait presque pas mal ! Le grand pêcheur aux  cheveux gris coupés ras m’a amenée gentiment à son épuisette,  et là,  presque rassurée,  je suis entrée dans le filet.  Un grand sourire éclairait le noble visage de Robert. Oui,   son prénom c’est Robert car un autre pêcheur lui a crié quand il a soulevé son épuisette : « Tu en as une Robert » ? Robert, donc,  m’a posée  vraiment très délicatement sur un matelas bien douillet.  Et,  tout aussi délicatement,  il m’a retiré sans la moindre douleur son hameçon dont les ardillons multiples étaient vraiment microscopiques.  L’autre pêcheur s’est approché, avec dans l’œil comme un regret de ne pas être mon ravisseur. Robert a voulu une photo de nous. Il a dit : « Fais vite, il fait chaud et je ne veux pas qu’elle prenne un coup de soleil ». En même temps, il versa sur moi,   lentement,  un seau d’eau rafraîchissante. Les autres,  les Wild Spirit,  n’avaient pas eu ces égards, mais c’est vrai qu’alors je ne faisais que quelques kilos.  Pourtant mes copines bien plus petites que moi et qui connaissent maintenant Robert m’ont dit qu’il était toujours délicat quand il les capturait elles aussi. Moi qui suis célibataire, je me suis éprise de Robert,  et pour le voir (je sais que ça lui fait toujours plaisir) je mords à sa ligne et je fais semblant de tirer et vite je me rends pour le voir de plus près. J’aime qu’il me touche, qu’il me regarde. Je me sens belle dans ses bras. Et je vois bien qu’il est heureux chaque fois de me revoir. J’entends bien les autres carpistes,  les Wild Spirit surtout, le chambrer. L’un d’eux lui a dit un jour, moqueur :  « Eh Robert, ça fait  combien de fois que tu l’as prise la Germaine » ? Et Robert de répondre : « 57 fois, mais je ne m’en lasse pas » ! Pouvait-on imaginer un coup de foudre entre Robert et moi ? Non, bien sûr mais comme on dit,  la réalité dépasse souvent la fiction. Depuis quelques jours, il circule une nouvelle. Robert qui est un homme vraiment intelligent et facétieux, et si beau, vient de créer un club de gentlemen, le WomS ‘ Club…

Depuis ma rencontre avec Robert, je suis bien plus heureuse. J’ai comme un but dans ma vie de célibataire,  même si  je sais qu’il n’y a jamais eu d’histoires d’amour réussies avec les passionnés de nous, les carpes. Un jour, j’ai entendu une chanson qui sortait d’une boite qu’écoutait un Wild Spirit. Ca chantait : «les histoires d’amour ça finit mal, en général»…

Les bonnes questions

Depuis maintenant des années, j’ai des discussions,  tout aussi passionnantes que passionnées, avec un pêcheur de carpe qui parfois met en ligne sur Facebook des articles sur divers sujets concernant aussi bien la pêche de ce poisson que son ambiance sociologique. Il s’agit de Christophe Babec. Je ne le signale pas parce qu’il est un ami mais parce qu’il  a une approche singulière de notre pêche qui fait qu’elle entre dans la réflexion de tout carpiste qui n’est pas figé dans ses certitudes. Notre première rencontre est déjà ancienne mais nous n’avons pas, à l’exception d’une fois,  vraiment pêché de concert.

Le blog de Dominique Audigué

Mais cela n’empêche pas que régulièrement nous ayons des conversations qui  ne sont rien de moins que passionnantes puisque, après des années sans participation à la littérature halieutique, j’ai bizarrement envie de mettre noir sur blanc, le contenu de nos cogitations croisées. Christophe n’a pas tout à fait les mêmes certitudes que moi concernant le fonctionnement biologique de la carpe, je devrais dire Les carpes. D’abord parce que je suis par nature un sceptique, ensuite parce que nous ne pêchons ni les mêmes eaux, ni ensemble,  et enfin parce que je préfère les questions aux réponses qui sont trop souvent péremptoires chez  la gente carpiste « ordinaire ». Par chance, parce qu’il est du genre atypique, il n’est pas de cette « confession-là » et il reste ouvert à des idées qui ne sont pas forcément les siennes mais qui, il me le dit, bousculent ses cogitations halieutiques.

Dominique Audigué - Christophe Courtois

Quant à moi, j’ai besoin de son écoute pour me pousser dans mes derniers retranchements, pour preuve, je me remets à écrire pour partager, sans agressivité,  mon approche de la pêche de la carpe avec tous ceux qui préfèrent les doutes aux certitudes et les bonnes questions aux mauvaises réponses ! Ce long préambule qui n’est pas dans les règles  « littéraires »  habituelles,  se veut un préalable pour une série d’articles sur différents sujets qui sont le résultat d’une confrontation « intellectuelle » que j’aurais eue avec Christophe Babec.  Ca ne m’empêche pas d’avoir d’autres échanges avec d’autres carpistes. Je ne manquerai pas de signaler le nom des personnes qui m’auront intéressé par leur réflexion et leur approche. Contrairement à tous les autres carpistes connus, je ne crains pas de signaler à tous,  le talent de carpistes plus ou moins anonymes, et même de reconnaître ceux, parmi eux,  qui pêchent bien mieux que moi. Il y en a. Il ne faut pas que de l’honnêteté intellectuelle pour le faire mais aussi une certaine compétence pour le remarquer. Je pense l’avoir. Contrairement à d’autres célébrités, je n’ai jamais eu peur de participer à des compétitions où je n’ai pas souvent gagné mais où je suis toujours sorti vainqueur ces « défaites-là ». C’est au pied du mur qu’on voit le maçon ? C’est au bord de l’eau qu’on voit le pêcheur ! Dans mes carnets de pêche virtuels, pas de spécimens pour me donner, dans ce domaine réservé à une élite,  une légitimité de parole? Ca tombe bien, je ne veux  vous parler que de pêches ordinaires, celles qui concernent des « spécimens » qui ne dépassent qu’occasionnellement les 10 kg. Etant avertis de ce parti pris, mes possibles lecteurs peuvent arrêter leur lecture à ce stade. Désolé de leur avoir faire perdre du temps, s’ils espéraient,  en commençant à me lire, découvrir entre mes lignes les Secrets des Pêcheurs de Spécimens. Si ce que j’ai à dire ne les intéresse pas, il faut qu’ils se dirigent  vers une autre « littérature » que la mienne. Je suis avant tout un pêcheur de petits poissons et peut-être même… un petit pêcheur. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre comment  ça « marche » et tout autant, sinon plus, pourquoi ça ne marche pas. Je pense donc je pêche  pourrait être ma maxime, mieux,  mon slogan. Il me revient en mémoire la phrase d’Alphonse Allais, grand humoriste de la fin du 19ème siècle qui résumait ainsi notre loisir : « « la pêche, c’est une ligne avec une bête à une extrémité et un imbécile à l’autre ». Donc, c’est très prétentieux,  mais je veux essayer de prouver que de la carpe ou de moi, ce n’est pas moi le plus bête !